Les consultations entre l’armée, les forces politiques et la communauté internationale se poursuivaient lundi pour mettre fin à la confusion institutionnelle au Burkina Faso. Le lieutenant-colonel Isaac Zida, nommé samedi par l’armée chef de la transition, a assuré que « le pouvoir exécutif sera conduit par un organe de transition dans un cadre constitutionnel ».
Le calme semblait être revenu lundi 3 novembre à Ouagadougou après un dimanche agité. La circulation avait repris normalement. Le grand marché de la capitale a rouvert tout comme une majorité des écoles, banques et commerces de la capitale burkinabè. Les différends appels au calme semblent donc avoir été entendus. Mais la confusion institutionnelle demeure. Explications.
- Les consultations reprennent
Le lieutenant-colonel Isaac Zida, numéro 2 de la garde présidentielle, a rencontré à 10h00 (locales et GMT) des représentants du corps diplomatique au ministère des Affaires étrangères, tandis que les chefs de l’opposition devaient se concerter en milieu de journée au siège du parti de leur chef de file, Zéphirin Diabré. Le chef actuel du régime de transition devait également rencontrer les leaders religieux du pays.
Selon l’AFP, Zida a assuré au corps diplomatique que « le pouvoir exécutif sera conduit par un organe de transition dans un cadre constitutionnel. Cet organe de transition sera dirigé par une personnalité consensuelle désignée par tous les acteurs de la vie nationale ».
« Nous ne sommes pas là pour usurper (…) le pouvoir, a déclaré un peu plus tard le lieutenant-colonel à des journalistes. Nous voulons aller très vite », a-t-il dit; sans pour autant préciser de calendrier précis.
Le nouvel homme fort du Burkina doit faire face à la pression de la communauté internationale qui a vivement réprouvé la prise de pouvoir de facto par les militaires. Les États-Unis ont condamné « la tentative de l’armée burkinabè d’imposer sa volonté au peuple », appelant « l’armée à transmettre immédiatement le pouvoir aux autorités civiles ».
La médiation internationale tripartite au Burkina, conduite par l’ONU, l’Union africaine (UA) et la Cedeao, l’organisation régionale de l’Afrique de l’Ouest, a évoqué la menace de « sanctions » si l’ordre constitutionnel, qui prévoit un intérim du président du Parlement, n’était pas respecté.
L’Union européenne a demandé à l’armée burkinabè à respecter les droits fondamentaux de la population, y compris celui de manifester pacifiquement, tandis que le président ghanéen John Dramani Mahama, qui dirige la CEDEO, a appelé « au dialogue » et à la retenue pour éviter que « la situation déjà précaire » ne dégénère.
- Confusion à la RTB
Alors qu’il semblait samedi que le lieutenant-colonel Isaac Zida avait pris la main, la journée de dimanche a été très confuse. Après avoir s’être rassemblés tôt dans la matinée place de la Nation, des manifestants ont convergé vers le siège de la radio télévision nationale, la RTB. La foule est menée par Saran Sérémé, membre de la coalition de l’opposition et dirigeante du Parti pour le développement et le changement (PDC). Cette dernière, membre du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, ancien parti présidentielle) jusqu’en 2012, comptait annoncer qu’elle prenait en main la transition – une intention qu’elle a ensuite démenti sur RFI. Arrivée au siège de la RTB, elle était escortée par trois membres des forces armées qui ont tenté de sécuriser les lieux.
C’est à ce moment que le général Kouamé Lougué, ex-ministre de la Défense de Compaoré, débarque à bord d’un 4X4. Ayant été mis au courant des intentions de Saran Sérémé, il décide de la devancer et de s’autoproclamer chef de l’État. Devant les caméras éteintes de la RTB, il appelle les manifestants à le rejoindre place de la Nation.
Mais alors que Kouamé Lougué se met en marche, la dirigeante du Parti pour le développement et le changement tente de pénétrer à son tour sur le plateau de la radio-télévision nationale. La confusion règne. L’armée effectue des tirs de sommation pour contenir la foule massée à l’extérieur du bâtiment. Un manifestant décèdera d’une « balle perdue ».
Les actions de ces deux personnalités sont assez surprenantes : Saran Sérémé a-t-elle été poussée par la foule à agir de la sorte, comme elle l’a ensuite prétendu ? Ou a-t-elle juste tenté de tirer profit de la confusion ? D’aucuns doutent en tout cas de la légitimité d’une personnalité à la tête d’un tout jeune parti politique de diriger la transition.
Longtemps cité parmi les candidats pour prendre les rênes de la transition, Kouamé Lougué s’était quant à lui entretenu samedi avec le lieutenant-colonel Isaac Zida et le chef d’état-major des armées, le général Honoré Nabéré Traoré. Une discussion qui avait abouti à la désignation de Zida pour diriger la transition. Difficile donc de comprendre son geste. D’autant plus qu’il a été immédiatement contredit par l’armée qui s’est déployée autour de la place de la Nation pour empêcher tout rassemblement. Après cette tentative avortée, l’ancien ministre de la Défense a passé la journée de dimanche au domicile du Mogho Naba.
- Compaoré à Yamoussokro, pour combien de temps ?
Accompagné de son épouse Chantal et de son frère cadet François, Blaise Compaoré se trouve à Yamoussoukro, la capitale administrative ivoirienne, depuis vendredi soir. Le lendemain, le couple Compaoré a reçu la visite du président Alassane Ouattara.
La présence de l’ancien chef de l’État burkinabè ne fait pas plaisir à tout le monde. Le Front populaire ivoirien (FPI) l’a ainsi dénoncé avec « la plus grande fermeté », estimant dans un communiqué qu’après « tout ce que cet homme a fait contre son propre peuple au Burkina Faso et contre le peuple ivoirien, Blaise Compaoré ne peut pas s’en sortir à si bon compte en ayant en prime un exil doré en Côte d’Ivoire ».
« On retient de ses 27 ans de règne qu’il a exercé un pouvoir absolu à l’intérieur, jalonné de disparitions et d’assassinats d’opposants et de membres de la Société Civile dont le plus célèbre est le journaliste Nobert Zongo assassiné en décembre 1998 », rappelle encore le communiqué, signé par la secrétaire générale du parti de Laurent Gbagbo Agnès Monnet.
AFP