Après avoir enregistré quelques morceaux de son prochain album en France, Mory Djeli Deen Kouyaté a regagné il y’a quelques temps sa Guinée natale pour prendre du repos. Jouissant de la tranquillité de Siguiri en haute Guinée, le Bélébéléba de la musique guinéenne a bien voulu recevoir notre reporter dans sa famille pour parler de sa musique et de ses projets.
Des préparatifs de son opus international au drame de Rogbané en passant par son point de vue sur le droit d’auteur en Guinée, le griot n’a occulté aucun aspect de l’actualité culturelle. De plus, il a également expliqué ‘’le pourquoi’’ de son inconstance dans l’arène musicale guinéenne. Lisez plutôt !
Vision Jeunes : Bonjour, qu’en est-il de votre actualité musicale ?
Mory Djeli Denn Kouyaté : Sous la houlette de ma maison de disque SONY, je suis présentement en studio pour préparer mon nouvel album avec mon arrangeur Jean-Philippe Rykiel. Si tout va bien l’album sera bientôt dans les bacs.
Coté studio, vous travaillez en Guinée ou à l’extérieur ?
Avant je travaillais en Guinée, mais comme je suis présentement géré par une grande maison de disque je suis obligé de le faire à l’étranger.
Votre rareté sur la scène guinéenne s’explique t-elle par le fait que vous soyez géré par cette maison de disque étrangère ?
Si je suis rare en Guinée, c’est ne pas de ma faute. Avant de sauter il faut bien reculer. Avant de quitter la Guinée, j’ai fait mes preuves en tant que griot chanteur et apporter ce que je pouvais à la musique guinéenne. Aujourd’hui, je suis à la conquête du marché mondial. C’est pourquoi je m’apprête à sortir cet album international.
Quelle sera exactement la couleur musicale de cet album ?
Dans cet album tradi-moderne, il ya des morceaux de réconciliations que j’ai précédemment chanté, il ya aussi deux remix de ces morceaux. Parce qu’en tant que de griot, il faut que je parle tout le temps de paix et de réconciliation dans notre pays. C’est cela mon souci d’abord, même si l’album doit sortir à l’international, il faut que les gens sachent que j’ai le souci de mon pays d’abord.
Cet album va être différent de tous les albums que j’ai déjà fait. On ne peut pas parler de musique africaine sans parler de Mory Kanté, Alpha Blondy, Youssou Ndour, mais aujourd’hui tous ceux qui ont travaillé avec eux se sont regroupés au tour de moi pour m’aider à propulser ma carrière.
Aujourd’hui en tant que doyen, quel est votre regard sur cette nouvelle génération d’artistes guinéens qui comme vous font de la musique traditionnelle ?
La première chose, c’est de les encourager car tout le monde pense qu’être artiste est facile. Aujourd’hui, il faut que les artistes guinéens se donnent la main car dans la vie, le fait d’être ensemble est un véritable atout. S’ils veulent être considérés et écouter de tous, il va falloir laisser les egos de coté et regarder comment sont solidaires les artistes des pays voisins.
Notre pays traverse une période difficile en ce moment avec la fièvre hémorragique à virus Ebola qui fait des ravages et le drame de la plage Rogbané qui a couté la vie à une trentaine de jeunes. En qualité de leader d’opinions, quel est votre message à l’endroit du peuple de Guinée ?
Ebola et le drame de Rogbané sont deux cas différents. Pour ce dernier cas, nous avons réuni un grand nombre d’artistes qui ont voulu apporter leur compassion à la famille guinéenne et immortaliser ces victimes. C’est ce que je disais plus haut, il faut que les artistes se mettent ensemble.
Pour rappel, les artistes étaient la première force de ce pays lors de la 1ère république. Avec le premier régime et Feu Fodeba Keita, le premier budget guinéen a été donné par les artistes. Il ne faut pas qu’on oublie cela. Aujourd’hui nous demandons pardon à toutes les familles et tout le peuple de Guinée qui ont perdu les leurs. Ces artistes donnent de la joie au peuple et portent les couleurs de la Guinée un peu partout dans le monde. Ce problème qui est arrivé à nos jeunes artistes pouvait arriver à tout le monde. Personne n’organisera un concert pour faire du mal à son public.
Je demande au mon grand frère le Professeur président Alpha Condé de se pencher sur cette affaire et pardonner. Je le dit en tant que son griot et aussi son frère. Aujourd’hui, il est le père des artistes, il est le papa de toute la nation guinéenne donc quand il ya problème il ne doit pas rester indifférent. Je demande pardon au nom des artistes, pardon au professeur Alpha Condé.
Quel est votre opinion sur le droit d’auteur guinéen ?
Je ne suis pas convaincu du droit d’auteur guinéen. Quand je quittais la France, ma maison de disque ma demandé de faire un transfert que j’ai fait. Avec toutes mes tournées, je n’ai jamais touché mon droit en guinée. Depuis que Sekou Touré est parti, l’art guinéen est foutu, au BGDA chacun vient pour se servir et repartir. Ils gagnent et les artistes sont dans la galère. Si le droit d’auteur existait véritablement en Guinée, beaucoup d’artistes seraient riches. Regardez chez nos frères d’à coté, avant quand le Bembeya partait à Dakar ils étaient accueilli comme des rois, prenez l’exemple sur Youssou Ndour aujourd’hui qui vie pleinement de sa musique.
Les autorités guinéennes n’ont pas pitié des artistes, la culture guinéenne est mal gérée. En ma qualité de griot, j’attire l’attention du gouvernement guinéen sur la situation de la culture et des artistes. S’il ne veille pas à bien restructurer cela, un jour il y aura un grand problème en Guinée qu’ils ne pourront pas résoudre. La guerre d’une armée finit mais la guerre d’un artiste ne finit jamais.
Nous ne voulons plus des ‘’SOS’’ pour les artistes qui tombent malade car c’est vraiment une honte. Je m’adresse au Président de la république parce que c’est lui qui a nommé ces responsables pécheurs qui ont ni respect ni pitié pour les artistes guinéens et le secteur culturel en général. Qu’il revoit l’état de la culture car c’est lui qui est le responsable de la nation. Je lance un appel à tous les artistes et hommes de culture à se mettre ensemble pour que les choses puissent changer pour nous, car c’est seulement ensemble que nous pouvons être considérer et écouter par nos autorités.
Un mot de la fin
Merci d’avoir effectué ce grand déplacement pour venir chez moi à Siguiri. C’est un honneur pour moi de vos recevoir ici et merci pour le grand boulot que vous faite pour la promotion de la culture guinéenne.
Entretien réalisé par Diallo Mouctar Telly depuis Siguiri