Laurent Correau, envoyé spécial de Radio France Internationale à N’Djamena, a été expulsé ce mardi soir. Interpellé sans ménagement à son hôtel par deux agents de la police des airs et des frontières, il a été conduit aussitôt à l’aéroport et contraint de monter dans un avion d’Air France à destination de Paris. Laurent Correau était au Tchad depuis cinq jours pour préparer une série de reportages à l’occasion de l’ouverture du procès de l’ancien président Hissène Habré prévue le 20 juillet à Dakar.
Il est 22 heures quand deux hommes déclarant être des agents de la PAF se présentent à l’hôtel Wou, dans le centre de N’Djamena, où est descendu Laurent Correau et d’autres confrères, dont celui de Jeune Afrique. Le journaliste de RFI est attablé au restaurant avec Reed Brody, porte-parole de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch. Selon des témoins de la scène, les deux policiers en civils signifient à Laurent Correau son expulsion du territoire tchadien, sans fournir d’explication ni de document officiel. «Deux hommes en djellaba, me disent : « Allez préparer vos affaires, vous prenez l’avion ce soir. » Je leur réponds : « Mon avion est dimanche et sans avis d’expulsion je ne monte pas avec vous ».» Le ton monte quand Reed Brody essaye de prendre avec son portable une photo de la pièce d’identité d’un des hommes qui tente de s’emparer de son téléphone de Brody. Correau s’interpose. Se fait violemment gifler, ses lunettes volent. «J’ai compris que toute discussion était alors impossible», dit Correau joint ce matin. Il se rend sur le parking de l’hôtel et monte lui-même sa valise dans le coffre : «Il y a eu un moment interminable quand nous avons pris la route de l’aéroport car je ne savais pas si c’était vraiment des fonctionnaires de la PAF et si nous roulions vraiment vers l’aéroport…»
Entre-temps des coups de fils sont passés auprès des autorités tchadiennes. Le ministre de la communication, par qui est passé Correau pour sa demande d’accréditation, déclare n’être au courant de rien. L’ambassadrice de France, alertée, se rend immédiatement à l’aéroport. Elle demande à parler à Laurent Correau. On lui répond qu’elle pourra le faire quand il sera en salle d’embarquement. Ses services exigent des explications. Aucune réponse ne viendra et l’ambassadrice ne pourra pas lui parler. Correau est alors forcé de monter dans l’avion d’Air France alors qu’aucun avis d’expulsion ne lui a été signifié, précise à Libération une source d’HRW jointe ce matin à N’Djamena: «Nous avons, en vain, tenté de joindre toutes les autorités de l’Etat.»
Correau avait sollicité toutes les autorisations et avait joué franc-jeu auprès de l’ambassade du Tchad à Paris : «Toutes les autorités savaient parfaitement ce que j’étais en train de préparer. J’étais là depuis 5 jours. Je n’ai travaillé que sur les années Habré et les témoignages des victimes : ni sur la politique et ni sur les attentats.»
Cette expulsion est un signal terrible donné par le pouvoir de N’Djamena incarné par Idriss Déby. Selon une source qui connaît le fonctionnement du pouvoir tchadien, cela signifie : «On se fout de votre ambassadrice comme de la liberté de la presse. On fait ce qu’on veut. Y compris virer sans aucun document officiel et gifler au passage un journaliste de RFI. Car nous vous sommes, à vous Français, indispensables dans la lutte contre Boko Haram et pour la stabilité de la zone Afrique centrale. Attention à ce que vous allez écrire vous les journalistes français la prochaine fois car si ça nous déplaît, on vous expulsera comme le gars de RFI.»
(Avec Libération)