Yimbaya, dans un bar-dancing-bordel, il est 20 heures et l’ambiance est déjà au top. Sur la piste de danse baignée dans un océan de jeux de lumières, des fêtards se trémoussent aux sons du couper décaler et d’Azonto -tendances de l’actu-,
la bière, comme l’eau à la borne fontaine, coule à flot. De l’extérieur, la mine du bâtiment ne paie pas. Empruntant un petit escalier, nous voici à l’étage où se trouvent les chambres de passage et l’espace V.I.P.
Autre espace, autre ambiance. Des filles de joie accoutrées de façon très aguichante pour ne passer inaperçues, bien attablées, savourent tranquillement leur bière ou leur jus en attendant l’offre d’un chaland, soit pour la nuitée, soit pour juste une passe. D’autres bien moulées dans leurs pantalons près-le-corps, ou portant des jupettes se livrent à un ballet d’allers et retours sans cesse avec des déhanchements qui font vibrer leurs postérieurs pour tenir en laisse le pauvre quidam qui y poserait son regard.
A la table contigüe à la nôtre, démarre le marchandage entre un jeune cadre marié et une très belle demoiselle apparemment la vingtaine bien soufflée. Après quelques minutes, le marché est conclu à vingt-cinq mille francs guinéens la passe.
Quelques instants après, nous nous intéressons à une adolescente, dix-sept ans, selon ses dires et fait la dixième année. ‘‘Je viens m’y débrouiller pour avoir de l’argent’’, dit-elle.
Cette belle se rappelle s’être prostituée pour la première fois ‘‘à l’approche d’une fête, j’avais des soucis d’argent pour m’offrir des vêtements, des chaussures et me faire coiffer. En me confiant à une amie du quartier, elle me dit vouloir m’aider si je voudrais moi-même m’aider. Face à cette métaphore, j’étais confuse dans la tête. La soirée suivante, je l’ai suivie et nous nous sommes rendues dans un motel du côté du quartier Gbéssia, carrefour de l’aéroport, d’où nous sommes reparties aux environs de deux heures du matin avec pour elle cent cinquante mille francs guinéens et pour moi cent dix mille francs guinéens. Depuis lors, je me débrouille de la sorte et ce depuis un an huit mois, parce que mes parents sont pauvres’’.
La pauvreté, principale cause de prostitution en Guinée ? Oui, de l’avis de M. Ifono Fara Guy, sociologue, professeur d’université : ‘‘La plupart des prostituées sont issues de milieux défavorisés et vivent dans des ménages qui n’ont qu’un repas quotidien, de mauvaise qualité et en quantité insuffisante.’’
Pour Elhadj Camara Fanta Oulén Bakary, contrôleur général de police, directeur de l’office du genre, de l’enfance et des mœurs au niveau du Ministère de la sécurité, l’escalade de la prostitution en Guinée est liée à l’évolution de la société : ‘‘Avec la poussée démographique, les difficultés poussent beaucoup de gens à pratiquer la prostitution. Mais, la pauvreté n’est pas la seule cause. Le divorce, l’inégalité dans la fratrie liée à la polygamie, l’ajustement structurel (programme du F.M.I) qui a conduit beaucoup de fonctionnaires au chômage, la mauvaise compagnie, les guerres dans les pays voisins.’’
Pour le commissaire, ‘‘les films pornographiques faciles à voir dans les cyber-cafés et dans les téléphones’’ sont aussi de nature à favoriser la prostitution.
‘‘Aucun hôtel, aucun motel ou autre établissement de ce genre n’est agréé par l’Etat guinéen pour des passes’’
La prostitution va crescendo à Conakry. Il suffit de faire le tours des maquis et de certaines places publiques pour s’en rendre compte. Nous avons au cours de nos enquêtes, découvert aussi la prostitution à grande échelle de filles importées de la Chine. Autrefois ils existaient aussi des réseaux nigérians qui faisaient venir du Nigeria des filles qu’ils prostituaient à Conakry ou les envoyaient en Europe le plus souvent en Italie pour la même raison. La loi guinéenne condamne cependant cette pratique appelée proxénétisme. Le proxénète, c’est celui qui crée le cadre en mettant en rapport le ou la prostitué (e) et le client pour ensuite en tirer profit.
En Guinée, le plus souvent c’est l’hôtelier, l’aubergiste, etc., qui recrute des filles pour les livrer aux clients de son établissement moyennant de l’argent.
Or ‘‘aucun hôtel, aucun motel ou autre établissement de ce genre n’est agréé par l’Etat guinéen pour des passes, ils sont tous agréés pour le séjour, tous ceux qui sont dans la passe sont dans l’irrégularité. Tout tenancier qui utiliserait son établissement à des fins de prostitution, devrait être interpellé par les agents de notre service et déféré parce qu’il aurait violé la loi interdisant la traite humaine’’, nous dit le commissaire Camara.
La police conduit les prostituées vers les centres de dépistage du VIH
Le ministère de la santé et de l’hygiène publique en collaboration avec le projet SIDA 3 avait élaboré un programme d’encadrement et d’assistance pour les prostitués. Ce programme consistait au dépistage des MST/VIH et la prise en charge. Selon nos informations, ces centres avant leur disparition, étaient peu fréquentés jusqu’à ce que la police intervienne. ‘‘Notre mission dans ce programme était d’aller les chercher partout où elles sont, les accompagner dans ces centres pour subir des tests de dépistages de maladies sexuellement transmissibles, au cas où le test est positif, le ministère de la santé les traite’’, témoigne le commissaire Camara. Ce projet a eu le mérite d’avoir aidé la police à identifier plus de six cent prostituées à Conakry.
La prostitution est un phénomène qui existe depuis la nuit des temps. Si dans certaines sociétés elle est reconnue à la même enseigne que le métier d’enseignant, de maçon, de transporteur, etc., les pratiquants payant des impôts et des taxes, soumis à des contrôles sanitaires périodiques avec des attestations à jours, chez nous, la prostitution se fait avec amateurisme. Et surtout contraire à la morale de notre société. A ce jour aucune loi de notre pays ne la reconnaît comme telle.
Au fait, qu’est-ce que c’est que la prostitution ? Retenons en général que c’est un acte consistant en l’accomplissement d’une relation charnelle avec autrui moyennant une rémunération en espèce sonnante et trébuchante. Dans certains cas la monnaie d’échange peut être de la nourriture, des notes de cours ou toute autre chose.
Bayo Ibrahima Kalil