L’ONG internationale Human Right Watch, basée à New York, a présenté à la presse guinéenne le jeudi 4 octobre 2018 un rapport intitulé “Quels bénéfices tirons-nous ? Impact de l’exploitation de la bauxite sur les droits humains en Guinée’’. Le rapport se focalise sur la région de Boké, la zone où dorment les plus grands gisements bauxitiques du monde.
Bien que l’objet et la réputation de Human Right Watch donnent une onction quasi divine à toutes ses allégations quand elle s’intéresse à un sujet, son impartialité, sa neutralité et son équité dans le traitement de certains dossiers sont parfois sujettes à caution. C’est le reproche qui lui est fait ici et là dans le monde. Il est bien admis que personne n’a jamais été assez sincère pour définir la sincérité. Pour paraphraser le célèbre humoriste Coluche parlant de la politique, certaines ONG ne seraient-elles pas « cinq années de droit et tout le reste de travers » ? Nous vivons en tout cas dans un monde de réseaux et d’intérêts où l’innocence est bien souvent morte et enterrée.
Une intention et une méthodologie sujettes à caution
En l’ocurence, le rapport donne l’impression qu’elle cherche à déstabiliser la politique minière du gouvernement guinéen en visant une société minière en particulier. Certes tout n’est pas faux dans le rapport, mais l’on craint qu’il ne comporte en amont une volonté manifeste de mettre à mal l’État guinéen et certaines entreprises qui contribuent beaucoup à son budget de développement.
Au cours de la conférence de presse, Human Right Watch reconnaît elle-même que ses allégations concernant l’impact de l’exploitation de la bauxite en Guinée sur les droits humains sont fondées sur des témoignages anonymes recueillis auprès de villageois et de responsables locaux. On prend des cas isolés, on les généralise et on extrapole. On polarise sur des images qui datent du début du projet de la société minière et qui n’ont plus rien à voir avec les pratiques actuelles, car les méthodes ont évolué. Les sociétés arrosent les routes minières (qui sont privées, il faut le dire) et contournent les zones habitées. Ces routes ont été pavées à certains endroits pour éviter les dégagements de poussières.
Le rapport ne souligne pas qu’il y a tout un réseau de routes et de pistes publiques empruntées quotidiennement à Boké. Le trafic y est intense. Camions, bus, minibus, voitures et motos personnels ou de transport en commun y roulent toute la journée à une vitesse qui s’accroît au fur et à mesure que les sociétés minières améliorent gracieusemenrt la praticabilité de ces artères publiques. Les villages et les champs voisins sont empoussiérés de tout temps. C’est d’ailleurs le cas un peu partout en Guinée, y compris dans les villes et zones rurales qui n’abritent aucune société minière, car les routes en terre sont plus nombreuses que les routes bitumées.
Quand on fait une enquête d’impact, il faut tenir compte de la disposition psychologique des personnes sondées. Un villageois se plaint facilement quand des enquêteurs étrangers lui tendent le micro. Il y voit (souvent à tort) une aubaine pour améliorer sa vie ou toucher une idemnité. Allez dans n’importe quelle campagne avec une allure de Zorro et demandez qu’est-ce qui ne va pas dans le bled, et vous récolterez une tonne de gémissements et de jérémiades. On mettra toujours au compte de la gouvernance actuelle des problèmes datant du temps de Mathusalem.
Autres interrogations
Le bureau guinéen qui a fourni à Human Right Watch des mesures sur la qualité de l’air ou de l’eau dans les périmètress d’exploitation et aux alentours a-t-il l’expertise nécessaire pour recueillir ces données ? L’ONG s’est-elle assurée au préalable de la fiabilité des compétences humaines et des instruments de mesures employées ? A-t-elle elle-même la capacité technique de jauger le bureau en question ? Ne devait-elle pas procéder à un appel d’offres international (ouvert ou fermé) pour sélectionner le cabinet le mieux disant en termes d’offre financière et technique ?
Pour une question d’équité, les réponses fournies à Human Right Watch par les sociétés incriminées pouvaient au moins être présentées in extenso en annexe dans le rapport. Il appartiendrait alors au lecteur de les lire entièrement ou en diagonale ou encore de les ignorer. Dans son rapport l’ONG met sous le boisseau les arguments des sociétés, elle se contente de dire que ces réponses sont trop longues pour être prises en compte. Pourtant elles n’excèdent pas 20 pages et, en tous les cas, elles méritaient d’être connues des lecteurs par souci de transparence et pour satisfaire le caractère contradictoire que doit nécessairement revêtir une enquête aussi importante. Cette enquête touche, en effet, directement l’État guinéen à travers des entreprises minières opérant sur son territoire.
Le plus curieux c’est que le rapport de 170 pages rédigé par l’ONG oblitère les statistiques du gouvernement et n’évoque pas les réponses antagoniques données par les sociétés minières au questionnaire qu’elle leur avait pourtant soumis dans l’esprit d’une enquête contradictoire. Est-ce parce que ces versions sont aux antipodes du contenu qu’on voulait d’emblée donner au rapport ? Elles sont en tout cas étayées par des statistiques et des documents probants. Elles s’appuient aussi sur des études d’impact environnemental et social réalisées par des cabinets spécialisés et dûment certifiées par des commissions techniques interministérielles. Et chaque année, l’exploitation minière d’une société doit être sanctionnée par un certificat de conformité environnementale délivré par le ministère de l’Environnement selon des critères rigoureux, parmi lesquels les mesures correctives prises par la société minière elle-même au cours de ses opérations chaque fois qu’elle constate des impacts environnementaux négatifs.
La SMB est jeune, elle est active depuis seulement trois ans. Pour sa part, elle profite de l’expertise du très sérieux cabinet Louis Berger pour corriger au fur et à mesure les anomalies environnementales et sociales qu’elle décèle au cours de ses opérations. Le président de la République, le Pr Alpha Condé, n’est pas en reste. À cheval sur le respect des termes des conventions signées avec la Guinée, il envoie des missions d’inspection inopinées sur les périmètres exploités par les sociétés minières pour s’assurer du respect des normes environnementales et sociales.
En termes d’indemnisations des populations relativement aux superficies occupées et aux incommodations liées à la proximité des sociétés minières, le rapport dit que celles-ci payent régulièrement les redevances aux collectivités depuis 2015. C’est exactement l’année à laquelle la SMB est entrée en activité.
« Ces terres sont à nous », disent les villageois dans le rapport. Certes ! Mais depuis que la bauxite a été découverte (en 1821) par le chimiste français Pierre Berthier sur la commune de Baux-de-Provence (qui a donné son nom à cette roche latéritique riche en alumine), on n’en trouve, là où elle existe, que sur des terres arides. En Guinée c’est sur les bowé que la bauxite existe. Les bowé sont des étendues désolées. Ils sont impropres à toute forme d’agriculture, de cueillette ou de foresterie. C’est si on les décape de la couche bauxitique qu’on peut mettre au jour une terre arable, donc exploitable par les paysans. La Guinée a 42 milliards de tonnes de bauxite. Comment l’État pourrait-elle les exploiter s’il n’acquiert pas les terres qui les recèlent ? Bien que les terres bauxitiques ne présentent pas d’intérêt majeur pour les ruraux, les sociétés minières qui les reçoivent en concession payent des compensations aux propriétaires coutumiers. Ainsi, la CBG depuis 2015 et la SMB dès l’obtention du permis d’exploitation sont à jour des compensations financières pour l’occupation des superficies. Elles sont également à jour du fond de développement local. Elles paient dûment leurs contributions au budget national de développement à travers la taxe minière et la taxe d’exportation.
Le rapport de Human Right Watch occulte l’apport important du secteur minier à l’économie nationale. L’industrie bauxitique guinéenne est en plein boom ces trois dernières années, elle a profité de l’arrêt de l’exportation de cette matière première par l’Indonésie, elle a créé des milliers d’emplois dans la région de Boké et injecte chaque année des centaines de millions de dollars dans l’économie nationale sous forme de taxes directes et indirectes, de revenus réalisés par les nombreux sous-traints et de salaires se chiffrant en milliards de francs guinéens et profitant directement aux habitants de Boké qui occupent 90% des emplois créés. On doit noter aussi que les sociétés minières contribuent significativement au développement communautaire. Les collectivités riveraines des sociétés minières vivent mieux que par le passé. Le fait est indéniable.
Par ailleurs, la présence de sociétés minières dans la région de Boké induit le développement de plusieurs secteurs, tels que les routes, le bâtiment, le logement, l’hôtellerie, la restauration, le commerce, l’accès à l’eau potable à travers les forages, les écoles, les centres d’alphabétisation, l’aménagement pour les communautés de terres cultivables avec maîtrise d’eau pour une agriculture intensive, les centres de santé, le développement des petits métiers ou le financement de projets solidaires. Tout cela profite à la région de Boké et à ses habitants. Le président de la république a décrété la région “zone économique spéciale” pour harmoniser son développement.
Il n’existe pas d’industrie extractive propre
Bien évidemment, il n’y a nulle part au monde d’industrie (extractive ou non) avec zéro impact sur l’environnement et sur la vie des collectivités voisines. Ce qui explique d’ailleurs les sévères dérèglements climatiques qui frappent la planète, y compris l’Afrique dont la responsabilié dans l’émission des gaz à effet de serre est pourtant quasi nulle. La pollution de l’environnement à l’échelle mondiale et ses conséquences sur le climat sont le prix payé aujourd’hui par tous les habitants de la Terre pour le développement des pays riches, surtout après la deuxième révolution industrielle commencée en 1870 par la découverte et l’utilisation outrancière des énergies fossiles (le pétrole et le gaz) et de l’électricité (issues de centrales thermiques ou nucléaires).
À la COP 21, le président Alpha Condé, alors président en exercice de l’Union africaine, avait demandé aux pays développés le versement de compensations financières aux États africains parce qu’ils subissent injustement les effets des dérèglements climatiques provoqués par le développement industriel des pays riches. Des engagements à hauteur de 100 milliards de dollars ont été pris. Ils sont censés promouvoir une économie verte en Afrique. Mais les décaissements tardent. Vu les enjeux climatiques actuels et la nécessité pour les pays africains de se développer eux aussi, la défense de leur cause face aux États puissants devrait retenir prioritairement l’attention des ONG de droits humains.
Le présentateur du rapport de HRW a dit malencontreusement que certaines compagnies bénéficient « à huis-clos » de concessions dans les importantes mines guinéennes alors que d’autres entreprises étrangères sont également intéressées par le secteur. C’était une parole de trop. Une ONG apolitique et sans but lucratif ne doit pas dire ça. Le non-dit est lourd de conséquences et affecte la crédibilité du rapport présenté à la Maison de la presse le jeudi 4 octobre 2018. Est-ce le rôle d’une ONG de droits humains de plaider indirectement la cause de multinationales absentes du secteur minier guinéen ?
En tout état de cause, une suspicion légitime pèse sur les motivations premières de Human Right Watch et sur son choix de l’industrie bauxitique guinéenne comme objet d’enquête et d’un rapport qui s’appesantit sur des aspects négatifs recueillis sous le couvert de l’anonymat. On peut aussi se poser des questions sur la fiabilité des mesures d’indices de pollution fournies par un bureau dont l’expertise reste à prouver et présentées telles quelles dans le rapport sans aucune approche critique méthodologique.
Le rapport comporte des affirmations étonnantes. Le chiffre de 4 000 à 5 000 camions de 50 tonnes qui, d’après Human Right Watch, transporteraient chaque jour la bauxite de la SMB est manifestement outrancier. Avec une telle flotte, la production annuelle de cette seule société se situerait entre 73 millions et 91 millions 250 mille tonnes. Le chiffre de 73 millions de tonnes est déjà supérieur à la production annuelle de l’Australie, le premier pays exportateur de bauxite au monde. Or, la production annuelle de la SMB est de 35 000 tonnes et celle de toutes les sociétés bauxitiques opérant en Guinée est de 52 000 tonnes. Ce chiffre total, certifié par des cabinets internationaux, est très en deçà de ce qu’on pourrait inférer des affirmations du rapport de HRW. Que le lecteur prenne sa calculette et se renseigne sur le net !
Beaucoup d’autres incohérences émaillent le rapport de Human Right Watch. Elles jettent le discrédit sur sa pertinence et ses motivations. Certains observateurs y voient un moyen de déstabiliser le gouvernement dans sa politique minière et de pointer un doigt accusateur sur la société qui est devenue très rapidement la plus importante pour l’économie guinéenne…
Par ailleurs, le rapport (dans son titre déjà) dit s’intéresser à toute l’industrie de la bauxite guinéenne relativement aux droits humains, mais dans le texte il fait une véritable fixation sur la SMB. Sans doute parce cette société performante exporte sa bauxite vers la Chine qui fait depuis deux ans l’objet d’une guerre commerciale ouverte, comme chacun sait. L’allusion à d’autres compagnies minières qui voudraient des concessions en Guinée est éloquente.
Human Right Watch est certes une ONG internationale respectable, au regard du travail formidable qu’elle fait pour la préservation des droits humains à travers le monde, mais elle est souvent décriée en ce qui concerne l’impartialité et l’équité. Des observateurs estiment qu’il y a des dossiers autrement plus brûlants et préoccupants de par le monde. Ils devraient avoir la préséance sur l’industrie bauxitique guinéenne, selon ces regards extérieurs.
D. Brichèle