L’actualité de notre pays reste dominée par la menace du ministre de la communication Alhoussein Makanéra Kaké de fermer la chaîne de télévision privée Espace TV. Cette volonté de fermeture de Makanéra ne fait pas l’unanimité dans le gouvernement. Vendredi dernier, nous avons eu un entretien avec le ministre des Droits de l’Homme et des libertés publiques sur cette question. Il nous donne son approche et sa vision sur les medias dans un pays en apprentissage de la démocratie.
Guinéenews© : Il se dit qu’il y’a un bras de fer entre vous et le ministre de la communication Makanéra autour d’Espace TV. Qu’en est-il ?
Gassama Diaby Kalifa : D’abord il ne s’agit pas d’une querelle entre deux personnes, ce n’est pas une question de personnes, mais d’approche et de point de vue.
Les affaires d’Etat ne se gèrent pas à travers des susceptibilités personnelles et individuelles.
Moi, je suis ministre des Droits de l’homme et des libertés publiques, par conséquent, garant aussi bien des principes de légalité que celui de la liberté de la presse, des médias et de la communication des opinions, de toutes les opinions (sachant évidemment que les délits ne sont pas des opinions) dans le respect de nos lois.
Ce n’est donc pas une bonne approche, de réduire ce sujet à une affaire de personnes. Nous sommes tous membres d’un même gouvernement, malgré cela, il peut y avoir des divergences d’approches, c’est tout à fait normal. Maintenant à chacun de jouer son rôle, d’assumer ses attributions, de le faire en son âme et conscience, conformément aux dispositions et à l’esprit de nos lois, et dans l’intérêt de notre peuple et de notre pays.
Quelle est votre approche pour régler le différend qui oppose l’Etat guinéen à Espace TV ?
Il est indiscutable que cette chaîne de télévision, n’a en Guinée ni licence ni agrément. C’est une factualité indiscutable. Cela a pour conséquence de reprocher à cette chaîne de télé de ne pas avoir de base légale en Guinée, de ne pas avoir d’autorisation. D’un point de vue juridiquement formel et mécanique, le reproche fait à cette chaîne de télé est tout à fait fondé. Néanmoins, à partir du moment où il a été établi que la direction de la chaîne de télévision en question a entamé, à plusieurs reprises, des démarches pour l’obtention de sa licence et de son agrément, et que cela, je ne sais pour quelle raison, n’a pas abouti, la question de la garantie de la liberté de la presse se pose. Et cela est un problème.
Et cette problématique aussi doit trouver sa solution. Dès lors, on se retrouve face à deux enjeux très importants: faire respecter le principe de légalité, les règles de l’état de droit d’une part, et d’autre part, garantir l’effectivité et la jouissance de la liberté de la presse, des médias et de la communication. Le respect et la garantie de ces différents principes s’imposent à l’Etat. Nous avons absolument besoin de légalité dans notre pays, ce, dans tous les domaines et à tous les niveaux. Et ce principe de respect de la légalité doit aussi être de mise dans l’administration, lorsqu’il s’agit notamment de délivrer des autorisations telle que prévue par nos lois. Tout refus doit être justifié et motivé, afin d’éviter l’arbitraire qui est forcément source d’injustice, de frustration et de conflit.
Il faut qu’en Guinée l’administration évite l’arbitraire. Cela crée des injustices, des frustrations et des situations inextricables.
Il faut aussi que les citoyens en finissent avec les comportements de défiance vis à vis de l’Etat et de l administration.
Nous avons besoin de l État et de sa légitime autorité pour notre sécurité et notre surete.
Mais cela n’est possible que si le droit reste notre seul et unique instrument de régularisation sociale.
Autant, aucun État ne saurait accepter l’illégalité sur son territoire, ni s’accommoder d’un statu quo illégal, autant au regard des principes démocratiques et des libertés, tout doit être fait pour garantir à chaque citoyen ou groupe de citoyens la jouissance des droits et libertés consacrés par notre Constitution et par les conventions internationales auxquelles notre pays est partie prenante. Et cela commence par le respect de nos dispositions légales, aussi bien par les citoyens que par l’Etat et ses représentants.
Pensez-vous que c’est votre rôle d’empêcher un média qui n’est pas en règle d’être fermé ?
Bien évidemment mon rôle n’est pas de défendre l’illégalité, au contraire. Un ministre des Droits de l’homme ne peut que s’inscrire résolument dans la défense de la légalité. Mais cette légalité doit être appréhendée aussi bien à travers les textes qu’à travers l’esprit des textes.
J’ai dit très clairement à la direction de cette chaîne qu’elle ne peut se prévaloir d’une légalité en Guinée, en l’absence de licence et agrément. Mais cette situation s’explique aussi par le fait que l’administration n’a pas pour des raisons inexpliquées, voulu délibérer une autorisation à cette chaîne de télé. Du fait que la liberté de la presse soit un principe constitutionnel, tout doit être fait non pas pour empêcher sa jouissance, mais pour favoriser et garantir celle ci.
Partant de tout ceci, en tant que ministre des droits de l’homme et des libertés publiques, je ne peux être d’accord avec des mesures de fermeture d’un média quel qu’il soit, pour des motifs qui peuvent trouver d’autres issues, d’autres solutions qui satisfassent tout le monde, en respectant tous les principes fondamentaux de la démocratie et de l’état de droit. Une décision de fermeture définitive d’un média est une décision extrême et radicale.
Je dis bien sur que l’argument juridique de la direction de espace Tv ne tient pas. Leurs explications techniques ne me semblent pas juridiquement suffisantes, et surtout ne peuvent tenir lieu de fondement juridique.
Mais, je crois et je pense que la mesure absolue de fermeture de la chaîne me ne semble pas ni souhaitable, ni appropriée. Il faut trouver une solution qui nous permette de faire respecter, et c’est indispensable, nos lois, la légalité, et en même temps, garantir la jouissance de la liberté de la presse, dans leur conception, leur établissement et leur fonctionnement, dans le respect de nos lois.
En définitive, exigeons, dans le cadre d’un délai moratoire, de la direction de espace Tv, (et d’ailleurs de tous les médias en Guinée), le respect de nos dispositions légales, qu’elle régularise sa situation, en se conformant à la loi. Mais il ne faut pas la fermer cette télévision.
Ce ne sera pas un bon signe de fermer un média dans notre pays, alors que nous sommes dans ce domaine dans une bonne dynamique et perspective, malgré, et ça quelques problèmes, dérapages ou manquements.
Toutefois, ceci ne signifie pas qu’il faille rester dans le statuquo, ou accepter des situations d’illégalités. Il faut simplement travailler de sorte à faire respecter et garantir les différentes exigences constitutionnelles ( et conventionnelles) en cause, notamment le respect de la légalité et celui de la liberté de la presse.
C’est à ce travail qu’il faut s’atteler pour résoudre cette situation.
Il ya parfois des dérapages dans la presse. Ne craignez-vous pas que votre attitude n’encourage certains mauvais comportements dans la presse guinéenne ?
Sur les dérapages, vous avez absolument raison. Mais laissez moi vous dire nettement que je ne peux cautionner et ne peux défendre aucun mauvais comportement, encore moins venant de la part des journalistes. Soyons clairs la dessus. Au delà de l’importance, de l’utilité de la presse dans une société libre et démocratique, il est utile et nécessaire pour les uns et pour les autres de faire preuve, dans les médias, de responsabilité, d’honnêteté, de respect et même d’élégance et de courtoisie.
En tant que ministre des Droits de l’homme, je souhaite donc que les journalistes demeurent jaloux de leurs droits et de leurs libertés, tout en faisant preuve de responsabilité, de respect de nos lois, de nos institutions et de courtoisie.
On ne peut impunément insulter des gens dans les médias, qu’ils soient simples citoyens ou responsables publics ou politiques.
On ne peut impunément inciter à la violence, à la haine ou à la discrimination.
Nous connaissons ce genre de travers dans certains médias en Guinée, et il faut travailler pour que cela cesse, afin que chacun puisse jouir librement et proprement de ces droits et libertés.
Dans un pays aussi immature en culture démocratique, aussi fragile dans son tissu social, il est d’une extrême importance que les médias et les journalistes jouent leur rôle avec responsabilité, respect et civisme. Il est important que les médias participent à l’éducation sociale et à la construction et la préservation de la paix dans notre pays.
Il arrive souvent qu’on entende dans les médias des propos irresponsables, irrespectueux et même dangereux pour la paix sociale.
On peut être libre, impertinent et en même temps avoir le souci et agir pour la paix sociale, et dans le respect des uns et des autres.
Avec les médias, y compris avec celui qui est en cause aujourd’hui, cette position est clairement connue et le message délivré sans ambiguïté.
Tout cela étant dit, et comme le disait Tocqueville » c’est toujours un grand crime de détruire la liberté d’un peuple sous prétexte qu’il en fait un mauvais usage »
Le ministre Makanéra a affirmé la semaine dernière sur la radio Nostagie FM que la loi sur la liberté de la presse qui dépénalise les délits de presse est inconstitutionnelle. Votre opinion?
Cette loi est une avancée salutaire pour notre pays et la démocratie que nous sommes entrain de construire. Aucun pouvoir public, aucun représentant de l’Etat ne peut mettre en doute ou en cause, la validité, en l’espèce la constitutionnalité d’une loi régulièrement votée par l’assemblée nationale ( ou par ce qui fait office d’assemblée nationale), validée par la Cour suprême et promulguée par le Président de la République.
Lorsqu’on est membre d’un gouvernement, donc de l’exécutif, tenir un tel propos, est inapproprié.
Votre dernier mot monsieur le ministre..
Très franchement, avec tous les défis qui nous assaillent dans ce pays, et l’urgence laquelle nous faisons face en ce moment…, je ne crois pas que ce genre de polémique soit appropriée ou nécessaire en ce moment dans notre pays.
Autant il est évident qu’il ya une problématique sérieuse des médias dans notre pays, aussi bien en termes de responsabilisation, que de soutiens et d’accompagnements et en formation, autant je pense que l’urgence n’est pas là aujourd’hui.
Et surtout, de part et d’autre, il faut sortir de l obsession des médias. Les médias ne sont pas parfaits, qui l’est? Les journalistes ont leurs défauts, qui n’a pas de défaut?
Il n’y a ni média parfait, ni journalisme parfait. Et surtout il faut qu’en Guinée, de quelque bord qu’il soit, qu’on intègre l’idée, que la liberté de la presse implique aussi celle de prendre partie avoir des opinions différentes, des affinités et même de faire preuve de mauvaise foi. Tout cela dans le respect de la loi bien sûr.
Mais à partir du moment où la pluralité médiatique est garantie, toutes les opinions, toutes les affinités et même toutes les mauvaises fois trouveront place pour leur expression.
D’où l’importance de garantir la liberté de la presse et sa pluralité.
L’impartialité et l’objectivité de la presse ou des journalistes, est une construction théorique et un idéal qui ne correspondent pas forcément, ni toujours à la réalité des choses.
Mais cela, au lieu de fragiliser ou de délégitimer la liberté de la presse, doit la justifier et la consolider. Il y’a une ligne rouge à ne pas franchir, celle de mettre en péril, par les propos, les attitudes ou les comportements, la paix sociale.
Cette obligation morale et juridique s’impose à tous, qu’on soit journaliste ou pas.
Et être journaliste, homme politique ou simple citoyen, ne vous soustrait pas à cette obligation qui est parfaitement conciliable avec les droits et libertés.
Donc à chacun d’être responsable et républicain, malgré les droits et les libertés auxquels chacun devrait légitimement prétendre dans une société de paix, libre et démocratique.
Guineenews