Le chef de file de l’opposition guinéenne, endeuillé par la mort de son frère aîné dans la nuit de mardi à mercredi à Dakar, a reçu à son domicile les condoléances du président Alpha Condé ainsi que le Tchioggou kassanguè (le « prix du linceul », en peul). Ce geste présidentiel inédit « n’est pas une surprise », a lancé ce dernier à l’endroit de son rival. Et pourtant…
Ils sont nombreux les Guinéens, ces jours-ci, à se croire dans un film ou dans ce roman de l’écrivain malien Amadou Hampaté Bâ, Étrange destin de Wangrin, avec son cortège d’alliances des contraires, notamment lorsque Romo Sidibé rend un hommage élogieux et posthume à son ennemi, le héros du récit !
Si le président guinéen a jugé banale sa visite au domicile de son principal adversaire politique dans l’après-midi du mercredi 7 septembre, il s’agissait de la première en six ans de pouvoir et autant d’intenses confrontations. Il s’est même fait accompagner par son ministre conseiller, Sanoussy Bantama Sow, qui a récemment accusé Cellou Dalein Diallo de préparer un coup d’État et a fait juger son député Ousmane Gaoual Diallo pour « outrage au chef de l’État ».
« Cellou est un frère, son deuil c’est le mien »
« J’étais avec le Premier ministre Blair (allusion à l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, ndlr) quand j’ai appris il y a moins d’une heure le décès », a glissé Alpha Condé pour souligner la diligence de son déplacement. « On meurt une fois, a-t-il poursuivi. Même si c’est ton ennemi qui est confronté à un décès, il faut lui présenter des condoléances. Cellou est un frère. Bien qu’il y ait la politique, nous sommes tous des frères, des Guinéens… Son deuil, c’est le mien. Il ne peut pas être surpris que je vienne lui présenter mes condoléances ».
Alpha Condé a apporté 50 millions de francs guinéens (environ 5 000 euros) à son principal opposant, comme « prix du linceul ». Mais Cellou Dalein Diallo a surtout salué la visite : « L’assistance financière est certes importante mais sa présence physique dans ma concession à cette occasion constitue aussi pour moi une source de fierté. Je tiens à lui exprimer mes sentiments de reconnaissance et de gratitude pour cet acte qu’il vient de poser ».
Du duel au duo
L’heure ne semble plus être à la confrontation entre le chef de file de l’opposition guinéenne et le chef de l’État, qui désormais caressent l’espoir affiché de « travailler ensemble pour l’intérêt de la Guinée », a déclaré Alpha Condé en premier. « Je pense que nous sommes tous deux engagés dans ce sens, malgré l’adversité » et même si, a-t-il poursuivi, « en Guinée beaucoup ne souhaitent pas l’entente parce qu’ils vivent de la pagaille. Nous allons l’éviter à notre pays ».
Cellou Dalein Diallo a également affirmer souhaiter « vivement que la dynamique enclenchée à l’occasion de notre rencontre du 1er septembre soit renforcée pour l’intérêt de la Guinée. Je souhaite que la haine et la violence soient désormais de tristes souvenirs, que nos relations soient plus civilisées, pour favoriser l’émergence d’une démocratie apaisée et un développement en faveur de tous les enfants guinéens et des générations futures à qui nous avons la responsabilité de laisser la culture de la tolérance et de la fraternité. Merci, monsieur le président ! Que Dieu guide nos pas… »
Des rires malgré le deuil
Outre le deuil de son opposant, le président guinéen a éprouvé un regret : « J’aurais souhaité venir chez lui dans d’autres conditions, pas à l’occasion d’un décès », a-t-il expliqué, […] « mais c’est Dieu qui décide. Je suis désolé que ma première visite soit pour présenter des condoléances et non pour un baptême par exemple ».
C’est alors qu’Alpha Condé a été interrompu par l’épouse de Cellou Dalein, qui a dit regretter aussi, sur le ton de la plaisanterie, de ne plus pouvoir avoir d’enfant. « Non, madame, je n’ai pas dit ça ! » s’est excusé le visiteur, avant de se tourner vers l’époux : « El hajj ! (l’autre titre de Cellou Dalein, pour avoir accompli son pèlerinage à la Mecque, ndlr). Pardon, je n’ai pas dis ça, hein ! Il faut que Cellou me permette de sortir de chez lui en bon état », a-t-il plaidé avant de s’en aller aussitôt.
Et comme lors de leur tête-à-tête au Palais Sékhoutouréya, les deux hommes ont éclaté de rire bruyamment, et l’assistance à leur suite, malgré le deuil.
JA