Le décret présidentiel convoquant les Guinéens aux urnes pour le 4 février 2018 a été publié lundi soir sur les antennes de la télévision nationale. Ce qui met fin à douze ans d’attente, les dernières élections locales remontant en 2005 sous la présidence de Lansana Conté.
Hormis la présidentielle de 2015 qu’Alpha Condé a tenu à organiser à la bonne date, aller aux élections a, depuis 2005, été un exercice difficile. La longue maladie de son prédécesseur Lansana Conté, mort en décembre 2008, suivie de l’incertaine transition militaire dirigée par Dadis Camara, puis du général Sékouba Konaté, avant les violentes manifestations de rue de l’opposition dénonçant l’absence de volonté politique sous le premier mandat du président Alpha Condé… Autant de facteurs qui ont relégué au second plan l’élection des élus locaux.
Instabilité institutionnelle
A cette instabilité sociopolitique s’ajoute celle, institutionnelle, de la Commission électorale nationale indépendante. Une CENI qui, depuis 2010, a vu cinq présidents se succéder à sa tête.
Actuellement, les communes urbaines – au niveau des préfectures – et rurales – les sous-préfectures – sont dirigées par des « délégations spéciales » nommées au prorata des voix obtenues par chaque parti politique à la dernière présidentielle de 2015.
Un système qui a mis fin à l’hégémonie du parti au pouvoir, le RPG Arc-en-ciel, qui avait auparavant délogé les « maires périmés » – dont le mandat de cinq ans était arrivé à expiration en 2010 – pour installer ses affidés.
Vivement le respect de la loi afin d’éviter des contentieux électoraux en cascades
Dans l’attente des résultats des élections communales et communautaires du 4 février prochain, le RPG Arc-en-ciel a donc été contraint de partager ce pouvoir décentralisé avec l’opposition, notamment l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) du chef de file Cellou Dalein Diallo, et l’Union des forces républicaines (UFR) de Sidya Touré, respectivement deuxième et troisième parti politique au vu des résultats des scrutins organisés depuis 2010.
Un décret « illégal »
Après les récurrents glissements de calendrier électoral, toute porte à croire que la date du 4 février est irréversible. Alpha Condé a même convoqué le corps électoral avec un jour d’avance, « en violation de la loi électorale », a dû rectifier le juriste Mohamed Camara. Le même qui avait décelé une omission dans la prestation de serment du chef de l’État, le 21 décembre 2015, occasionnant en conséquence la reprise de cet exercice solennel prévu par l’article 35 de la Constitution guinéenne.
« Le décret 305 convoquant le corps électoral traduit une bonne volonté politique, mais il doit être repris ce mardi pour être conforme à l’article 62 de la Loi organique 0039, portant nouvelle loi électorale qui prévoit 60 jours avant le jour du scrutin et non 61 jours », écrit le juriste sur sa page Facebook. Avant d’apostropher « les techniciens (qui) doivent bien faire la veille juridique avant de soumettre des projets de décrets. Vivement le respect de la loi afin d’éviter des contentieux électoraux en cascades pour des élections communales à enjeux capitaux. »
Débat sur le niveau des cautions
Côté réaction politique, le leader du Bloc libéral, Faya Millimono, arrivé quatrième à la dernière présidentielle, s’est dit « rassuré » de voir enfin les élections locales se tenir en février.
Même sentiment pour Chérif Bah, vice-président chargé des relations extérieures et de la communication de l’UFDG. La tenue des élections locales « marque le début de la fin de la fraude en Guinée », se réjouit-il, soulignant l’importance des élus locaux dans la gestion des scrutins nationaux.
Les seuls griefs portent sur les montants des cautions que les candidats devront déposer. Des sommes que Faya Millimouno juge élevées : 8 millions de francs guinéens (environ 750 euros) pour les candidats au niveau des communes urbaines et 3 millions (environ 280 euros) pour ceux qui se présentent dans les communes rurales.
Tout citoyen guinéen âgé de 21 ans ou plus est autorisé à briguer la présidence des communes
Quant au plafonnement des dépenses de campagne – fixé à 6 milliards de francs guinéens (soit environ 562 000 euros) -, Faya Millimouno exprime une seule et unique inquiétude : de voir l’argent public ou les autres moyens de l’État, tels que des véhicules administratifs, servir la cause des candidats du parti au pouvoir.
Néanmoins, son parti envisage de déposer des listes de candidatures dans les dix prochains jours. « L’UFDG est un grand parti, renchérit Chérif Bah. Nous allons présenter des candidats dans les 342 circonscriptions électorales du pays. »
« Tout citoyen guinéen âgé de 21 ans ou plus, jouissant de ses droits civiques, est autorisé à briguer la présidence des communes urbaines et rurales », a rappelé la Commission électorale nationale, CENI. Ce qui ouvre la voie aux candidatures indépendantes, alors qu’il faut obligatoirement appartenir à un parti politique pour participer aux scrutins législatifs et présidentiels.
L’institution électorale a fait des affiches publiques pour inviter les intéressés à faire acte de candidature à compter de ce mercredi 6 décembre jusqu’au 20 du même mois.
Un budget payé au compte goutte
Le budget est entièrement disponible dans un compte séquestre
Pour organiser les élections locales, la CENI a déposé sur le bureau du président Alpha Condé une facture de 350 milliards de francs guinéens (environ 32,8 millions d’euros), payé au compte-goutte. Si la totalité du budget électoral est disponible, à en croire un récent communiqué présidentiel, Alpha Condé souhaite contrôler l’utilisation des fonds et exige à cet effet la justification de chaque dépense.
Après un premier décaissement de 90 milliards de francs, seuls 20 autres milliards sont actuellement à la portée de l’institution. Pour chaque dépense, la CENI est contrainte d’établir un bon, le faire doublement valider par les ministères de l’Économie et des finances et celui du Budget, confie une source proche de la Commission électorale nationale indépendante.
« Le budget est entièrement disponible dans un compte séquestre. La CENI peut le décaisser au fur et à mesure en présentant des justificatifs », explique-t-on au ministère du Budget, en le justifiant par « l’obligation de gestion rationnelle et transparente de l’argent du contribuable ».
JA