Trois semaines après les tueries de Womey, des voix commencent à se lever pour expliquer les circonstances de la tragédie et le rôle joué par les uns et les autres. Dans ce spécial Womey, votre quotidien en ligne Guinéenews donne la parole au gouverneur de la région, Lancei Condé, qui livre sa version.
Depuis mars 2014, notre région connait la présence de la fièvre Ebola. Une maladie très contagieuse mais qui peut être guérie. En raison des conséquences dangereuses et variées, il a été demandé par la voix des hautes autorités à tout le monde de s’investir dans la sensibilisation pour que les citoyens puissent s’approprier des méthodes par lesquelles on peut attraper et éviter la maladie. Notre région étant considérée comme l’épicentre de l’épidémie, les autorités que nous sommes ont invité les religieux, les ressortissants, les autorités locales et les partenaires.
Il y a deux structures, le comité régional de crise de lutte contre Ebola et le conseil préfectoral de lutte contre Ebola. Au cours d’une réunion du conseil préfectoral, il a été demandé à tous les préfets, à tous les religieux et à toutes les forces vives de s’investir dans la sensibilisation parce qu’il y avait deux forces. L’une développe une dynamique de reconnaissance de la maladie et l’autre lutte contre la reconnaissance de la maladie. Qu’est-ce qui pourrait diminuer la force de cette deuxième tendance ? C’est la sensibilisation. Donc, il a été demandé, dis-je, à tous les préfets de s’investir davantage dans la sensibilisation.
« On a été bien reçu à Womey avec tous les honneurs »
Au niveau de N’zérékoré, ce qui fut fait. Et le préfet a convié à des rencontres les religieux, chrétiens et musulmans, les coordinations, les associations, les ressortissants, tous ceux qui peuvent faciliter à la sensibilisation. C’est avec eux que tout ce paquet a été managé. Quand le préfet a fini de tout manager, il est venu me voir pour dire qu’en raison de mon engagement pour cette région et pour la lutte contre Ebola, il souhaiterait que j’accepte de l’accompagner dans sa mission de sensibilisation dans les collectivités de N’zérékoré. En réponse, je lui ai dit que j’ai un programme mais en raison de l’importance et de l’urgence de sa mission, j’ai donné mon accord.
C’était la veille de la mission. Quand la mission est prête, on m’a appelé, nous sommes allés à Womey. Et là, on a été bien reçu, conformément aux règles de la tradition, nous avons reçu les dix noix de colas avec l’attache. Arrivés à la tribune, les gens étaient mobilisés. Nous, on a pensé que c’est parce que tout le monde a été associé au processus et que ceux qui ont été associés ont certainement sensibilisé pour qu’il y ait une telle mobilisation.
Conformément au programme, la parole a été donnée aux sages, qui ont présenté les dix noix cola dont j’ai fait mention, suivi de M. le Maire, qui a lu le mot de bienvenue, après ce fut mon tour.
A notre arrivée à Womey, il est important de rappeler, que nous avons eu une réunion de cinq minutes pour désigner les ordres des intervenants parce que le même jour, nous devrions faire trois sous-préfectures, Womey, Gouecké et Soulouta. Tous ont dit que le gouverneur est bien placé pour intervenir en première position. Les cadres de la santé ont été demandés de choisir un porte-parole. Pour éviter de pénaliser ceux qui nous attendaient à Gouecké et à Soulouta, le consensus s’est dégagé autour de la proposition de François Lamah de l’ONG Pride Formation. Mais il n’était pas là en tant que membre de Pride mais en tant que membre de la cellule de communication du comité préfectoral de crise et il est Kpelé. Pour nous permettre de gagner en temps, il a été décidé qu’il intervienne directement. Moi, j’ai fait ma communication, il n’y a eu aucun problème.
« On s’est sauvé dans une débandade indescriptible »
C’est au moment où François Lamah faisait son intervention, qu’on a vu les filles excisées passées, il y a eu petit bruit. Le préfet a demandé au sous-préfet et au maire d’aller voir ce qui se passe et que les gens se calment (Il se tait, comme s’il pleurait). C’est entre temps qu’on s’est vu dans le piège. Les jets de pierre et les projectiles ont commencé. On ne comprenait rien. Parce qu’à la suite de l’étude sociologique, les parents ne donnent jamais les noix de cola à un groupe s’il n’est pas prêt à l’accueillir.
Donc, on était surpris. Bref, il fallait se sauver et ceux qui ont eu la vie sauve se sont sauvés dans une débandade indescriptible. Mais comme beaucoup de ceux qui sont morts étaient dans le véhicule du Directeur Préfectoral de la santé (DPS), et le chauffeur a été le premier à partir, pour nous, comme on voyait le véhicule du DPS devant, pour nous, tout le monde a eu la vie sauve. Bien que les véhicules aient été saccagés ça et là, mais c’est à Gouecké qu’on s’est rendu compte qu’il y a des manquants.
On est resté à Gouecké. Les religieux, notamment les prêtres sont venus nous rencontrer. Finalement, un consensus s’est dégagé. On leur a demandé de s’investir dans ce processus de sensibilisation pour que les porté-disparus puissent nous être remis. Comme il faisait tard, ils ont dit qu’ils n’iront que le lendemain parce qu’il serait prudent imprudent de partir la nuit. Donc, le matin, quand ils sont partis, on leur a dit qu’ils ne détenaient personne. On est revenu à N’zérékoré pour faire une réunion au cours de laquelle il a été demandé au député Sory Haba, le député uninominal de N’zérékoré de s’ajouter aux religieux et aux sages.
On était toujours dans la dynamique du dialogue. Eux sont partis, nous les avons attendus avec les ministres de la communication et de la santé. Vers 17 heures, comme on a attendu toute la journée sans réaction. Le préfet a appelé le député Sory Haba. Ce dernier a dit : « j’ai le regret de vous annoncer qu’ils ont tous été assassinés ». On a dit alors, d’aller chercher les corps. Quand on est parti, difficilement on a pu récupérer les corps. Avec les moyens de bord, on a pu retirer sept corps de la fosse septique, dont six de la mission. Le septième corps, c’était le sous-préfet. Mais à la rentrée du village, il y a un autre corps. On a pu retirer les sept corps et le huitième à la rentrée.
« On a informé parce qu’on ne pouvait plus cacher »
Mais puisque les informations qu’on recevait, n’étaient pas bonnes, et il y avait une tendance de réaction de la part des autres ethnies, donc on a convoqué une réunion de toutes les coordinations. On est rentré tard la nuit, et c’est la même nuit qu’on a tenu cette réunion. Si on avait attendu le matin, ce n’était pas bon. On avait peur de quoi ? De la réaction des autres ethnies.
C’est pourquoi, malgré notre souffrance morale, notre peine, toute la délégation a tenu la réunion. D’abord, pour informer les coordinations parce qu’on ne pouvait plus cacher. En réponse, les coordinations ont promis de s’investir dans la sensibilisation. Dieu merci, on a été entendu. Le vendredi matin, on est allé saluer toutes les familles endeuillées.
Guinéenews