Le Conseil Constitutionnel demandant au Président de la République Macky Sall de ne pas réduire son premier mandat de 7 à 5 ans avait suscité une grande polémique. Cette polémique avait aussi engendré une situation si embarrassante et une tension si inquiétante, que 45 professeurs de droit, des spécialistes aguerris, avaient fermement pris position pour, à travers un manifeste, clamer haut et fort, que le Conseil Constitutionnel n’était pas cohérent.
En clair, Macky Sall venait de se dédire et les sept (dits ou supposés) sages se sentaient comme par enchantement, chargés de confirmer, de légitimer et de légaliser son spectaculaire revirement-reniement. Ces prétendus sages auraient-ils, depuis lors, aiguisé les appétits du candidat-politicien, au point de l’aider à instrumentaliser la justice et à mettre le parti au-dessus de la patrie?
Toujours est-il qu’entre-temps, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. La question avait aussi fait couler beaucoup d’encre et de salive. Qui pouvait s’y attendre ? Macky Sall, candidat en 2012, ne s’était-il pas rendu compte qu’avec Wade, le peuple avait définitivement tranché la limitation des mandats ? N’avait-il pas, à la veille du 15ème sommet de la francophonie à Diamniadio les 29 et 30 novembre 2014, été l’invité de Jean-Karim Fall de France 24 à qui il disait : « Je suis favorable à la limitation des mandats dans le temps » ? Mieux, les Sénégalais n’ont-ils pas connu Senghor pendant 20 ans, puis Abdou Diouf avec le même nombre d’années de règne ?
Macky Sall oublie-t-il qu’au soir de sa victoire sur Wade, le peuple sénégalais venait de prendre non seulement rendez-vous avec le temps, mais avec l’histoire pour dire clairement et définitivement, qu’il ne voulait plus d’un président qui fasse 20 ans au pouvoir? N’avait-il pas vécu une première alternance institutionnelle avec Senghor, suivie de deux alternances démocratiques par la voie des urnes ? Ce peuple qui, par la même occasion, venait d’écarter Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse de la course à la présidence au premier tour, serait-il encore prêt à accorder 20 longues années de pouvoir lassant et harassant à un président?
Diouf pressé et influencé par ses laudateurs et sa vorace clientèle politique, n’avait-il pas commis l’imprudence de revenir sur le Code Consensuel de 1992 sous la direction de l’éminent et regretté juge Kéba Mbaye, avant d’être durement sanctionné par les urnes, pour avoir cherché et, sans doute recherché le mandat de trop ? Wade n’ayant apparemment pas bien retenu la leçon, n’avait-il pas subi le même sort, pour être tombé dans les mêmes travers? Macky Sall candidat semblait avoir retenu la leçon et promettait même monts et merveilles en 2012.
Toutefois des questions demeurent.
Les sénégalais peuvent-ils ou doivent-ils oublier l’assassinat de Me Babacar Seye ? Doivent-ils laisser des politiciens qui représentent un pourcentage insignifiant de leur population décider seuls et toujours trop égoïstement de leur sort ? Peuvent-ils accorder à un autre une faveur qu’ils ont souverainement refusée à Diouf et à Wade ? Pourquoi Macky Sall, moins charismatique que ces prédécesseurs, s’obstine-t-il à ne pas admettre l’évidence aujourd’hui ; qu’en dépit de ses réalisations ou d’une éventuelle force répressive mise en avant, le peuple ne reviendra jamais sur ce principe sacro-saint acquis? Conscient de l’esprit du peuple, Macky n’avait-il pas, entre les deux tours, promis de le conforter et surtout de le sublimer par la lettre en verrouillant la constitution et donc en rendant intouchable cette disposition à ne jamais plus évoquer un troisième mandat ? Elu en 2012, n’avait-il pas choisi comme garde des sceaux une dame issue du système des Nations-Unies, puis un avocat de renommée mondiale? De plus, n’avait-il pas fait appel à un autre juriste-conseiller qui avait antérieurementpublié une œuvre sur : Les révisions constitutionnelles au Sénégal: Révisions consolidantes et révisions déconsolidantes de la démocratie sénégalaise ?
D’ailleurs, combien ses concitoyens auraient-ils aimé qu’il fût un président stratège, un chef d’Etat moins politicien que politique ? Combien espéraient-ils avoir définitivement placé à la tête de leur pays un homme d’Etat respectueux de sa parole donnée ? Combien nourrissaient-ils l’ambition d’avoir enfin déniché un président modèle, habile et sobre dans leur sous-région et en Afrique où beaucoup d’hommes politiques se forgent une démocratie taillée sur mesure ?
Hélas, il aura finalement été plus impressionnant par son physique que par sa carrure et sa posture. Aurait-il été fin stratège, qu’il n’aurait jamais cherché à user à tout prix de stratagème pour un troisième mandat. Croit-il pouvoir se servir de ses réalisations pour endormir, amadouer les sénégalais et de surcroît, pour les embobiner à lui accorder un troisième mandat auquel il n’aurait pas droit ? Ou s’accroche-t-il à l’idée de ne pas laisser à un autre jouir des importantes découvertes de gaz et de pétrole advenues pendant son règne?
Certes, Senghor avait annoncé, en faisant ses adieux aux chefs religieux, que le Sénégal jouirait bientôt de ses hydrocarbures. Et d’ailleurs l’opposant Oumar Wone en avait même fait un slogan de campagne électorale. C’est quoi donc le problème de Macky Sall? Les hydrocarbures seraient-ils subitement devenus si indispensables qu’ils s’imposeraient comme la condition sine qua non pour gouverner et transformer le Sénégal ? Ou auraient-ils autant d’emprise sur nos politiciens qui seraient tous prêts à enflammer voire embraser le Sénégal ? Si le code de l’eau (pourtant seule ressource naturelle indispensable) peine à être révisé, c’est parce que toute une salace hypocrisie entoure la révision du code des mines (ressources non indispensables).
Une fois au pouvoir, il n’a véritablement plus de parole d’honneur. Du moins son honneur se résume à des emprisonnements et à des épreuves de forces, d’autant qu’en chef suprême des armées, il a aussi l’avantage d’avoir les forces de défenses et de sécurité sous ses ordres. Evidemment, le pouvoir change, il transforme et métamorphose tous les politiciens aux convictions éphémères et vacillantes. Il dénature et/ou révèle la vraie nature de tous ceux qui sont de moralité douteuse et d‘une morale constamment provisoire.
Macky doit-il accepter d’être l’incarnation d’un hiatus intergénérationnel ? Doit-il donner raison à ceux qui l’accusent d’être l’incarnation d’un président accidentel élu et réélu par défaut ? Les exigences d’éthique, d’équité, de souveraineté et du commun vouloir de vie commune sont-elles mises en avant dans le fonctionnement des corps de contrôle et surtout dans la construction des routes, des stades, des ponts, des ports, des aéroports, bref, dans la réalisation du Train Express Régional et du Bus Rapid Transit ? Si tel n’est pas le cas, le bilan des réalisations, loin d’avoir connu les études d’impact environnemental et social si nécessaires ne saurait convaincre. Car ces réalisations riment plutôt avec inondations et désolation malgré le Plan Décennal de Lutte contre les Inondations ayant déjà englouti plus de 800 milliards.
La limitation des mandats est un moyen sûr non seulement pour l’ouverture démocratique mais aussi et surtout pour la préservation des acquis démocratiques. Elle est plage de progrès démocratique et de sécurité en Afrique. Elle est gage de paix, de stabilité et de continuité de l’Etat. L’Afrique doit-elle revenir à l’époque des «présidents à vie» et aux Etats à partis uniques comme si la démocratie devait étouffer ? Au contraire, elle doit inspirer profondément pour prendre suffisamment d’oxygène et expirer longuement pour se vider de tout son gaz carbonique intérieur et pour mieux reprendre son souffle vivant et vivifiant. Pourquoi Macky Sall a-t-il pour la énième fois refusé le protocole de la CEDEAO pour la limitation des mandats ? S’il est vrai que beaucoup de dirigeants ont du mal à s’éloigner de l’atmosphère envoûtante de l’appréciation, de l’adulation, de l’influence et du contrôle des ressources, il n’en demeure pas moins que ces prédécesseurs ont fait de leur mieux pour que le Sénégal soit une vitrine démocratique en Afrique.
Macky Sall ne doit ni faire moins que son papa Abdoulaye Wade, ni moins qu’Abdou Diouf qui ont respectivement permis au Sénégal de connaitre deux alternances démocratiques pacifiques. Abdou Diouf fut obligé de quitter le pouvoir après avoir pourtant tiré et sorti son pays de l’abîme des austères et meurtrières mesures d’ajustements structurels des délinquants financiers que sont la Banque mondiale et le Fond Monétaire International. Ce n’est pas lui, mais bien Wade qui bénéficia de la forte croissance retrouvée. Pourquoi Macky Sall ne céderait-il pas son fauteuil à un autre qui récolterait les fruits de ses audacieuses explorations d’hydrocarbures et surtout du début d’exploitation et de production du pétrole et du gaz? Le flambeau de l’idéal démocratique doit-il s’éteindre avec lui ? N’aurait-il pas dû en faire un combat de tous les jours, une consolidation à chaque instant ? N’était-ce pas le moins qu’il pût faire ? Ou est-ce trop tard ?
Ne le doit-il pas aux Sénégalais pour tout ce qu’ils lui ont gracieusement offert ? Lui seul doit prendre conscience qu’il serait honteux et suicidaire de vouloir s’inspirer du suffisant Alpha Condé ou du mégalomaniaque Alassane Dramane Ouattara. Il est encore temps pour lui de comprendre, et de se faire à l’idée une bonne fois pour toutes, que le peuple sénégalais ne lui offrira pas ce qu’il a jalousement refusé à Abdoulaye Wade. Peut-il ou doit-il alors manquer de reconnaissance à son peuple ? A lui de déférer au tribunal de sa conscience pour répondre à cette grave interrogation. Au demeurant, les Sénégalais ne s’accommoderont jamais d’une morale plaquée sur une hypocrisie affichée, affirmée et revendiquée par une classe politique (pouvoir et comme opposition) amorale, immorale, sans vertus et sans valeurs et qui ne travaille pas pour l’atteinte d’une prospérité partagée.