Prudence et fierté, ces deux sentiments animent les dirigeants du groupe japonais Fujifilm Holdings, un grand nom de la photo argentique reconverti en improbable créateur d’un des médicaments aujourd’hui perçu comme l’un des plus efficaces contre Ebola.
« Les résultats ont dépassé nos attentes », confie Yuzo Toda, un des vice-présidents de Fujifilm lors d’un entretien à l’AFP, le premier accordé à la presse depuis la publication des données préliminaires d’un essai clinique mené en Guinée.
Ce petit comprimé beige, dont la molécule s’appelle favipiravir, est un antigrippe approuvé en tant que tel par les autorités nippones en mars 2014.
Son atout, selon Fujifilm, est d’empêcher la duplication du virus à l’intérieur des cellules infectées, alors que les traitements classiques se bornent à bloquer la libération des particules virales.
Une singularité qui a mis la puce à l’oreille d’instituts de recherche en quête de remède contre Ebola, en train de faire des ravages en Afrique de l’Ouest (quelque 9. 177 morts sur 23. 000 cas recensés depuis début 2014, pour la plupart au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée).
Après des études concluantes sur des souris, « nous avons été approchés en septembre par un responsable de l’Inserm », l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale, relate M. Toda.
– ‘Pas un médicament miracle’ –
Il a très vite été décidé de lancer, mi-décembre, une expérimentation cofinancée par la Commission européenne, en partenariat avec les ONG Médecins sans frontières (MSF) et Alima (Alliance for International Medical Action), avec de premiers résultats jugés « encourageants ».
Sur les 80 participants, ceux qui se sont présentés avec une charge virale élevée ou moyenne ont vu leur mortalité réduite de moitié (de 30 à 15%). En revanche, le médicament n’a pas été efficace chez ceux atteints à un stade plus avancé, avec notamment de graves insuffisances rénales.
« Nous n’escomptions pas un succès avec tous les patients, ce n’est pas un médicament miracle », souligne Hiroshi Kitaguchi, un responsable de Toyama Chemical, la filiale de Fujifilm qui a développé l’antiviral, « mais c’est très bonne première étape ».
« Avant Avigan, il n’y avait rien, donc c’est un message très fort adressé aux malades », renchérit un de ses collègues, Koichi Yamada.
Les personnes infectées ne cherchaient pas à être soignées et l’infection se propageait. « Maintenant qu’il y a un médicament potentiel, le ministère de la Santé guinéen peut leur dire: venez le plus tôt possible, et nous pourrons vous guérir », explique-t-il.
Cet essai, appelé Jiki (qui signifie espoir dans le dialecte local, et incidemment « prochaine étape » en japonais), doit désormais être poursuivi sur un plus grand nombre de volontaires.
Les responsables de Fujifilm, censés rencontrer cette semaine des membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), espèrent ensuite une accélération du processus afin de répondre à « l’urgence sur le terrain ». L’épidémie donne certes des signes d’accalmie, mais n’est pas encore vaincue, a récemment mis en garde l’OMS.
Si d’autres antiviraux ont déjà ou doivent être prochainement testés, Avigan, facile à utiliser, apparaît comme le seul en mesure d’être rapidement produit: Fujifilm dispose de réserves suffisantes pour 20. 000 personnes (et d’ingrédients pour 300. 000).
– De la photo à la santé –
Pour la firme nippone de près de 80. 000 salariés née en 1934, cet épisode est une étape-clef d’une stratégie de diversification entamée dans les années 2000 pour survivre à la disparition de la photo argentique.
Depuis cette date, elle s’est livrée à une série d’acquisitions pour un montant global de 700 milliards de yens (5 milliards d’euros), rachetant notamment en 2008 la pépite Toyama Chemical.
« Toyama a l’inventivité, Fujifilm la force de frappe commerciale, c’est une très bonne combinaison », estime Yuzo Toda.
Mais Fujifilm ne veut pas s’arrêter à cette réussite indéniablement positive pour sa crédibilité dans un secteur peuplé de géants mondiaux de longue date, et où le groupe est entré par la technologie (radiographie, mammographie, endoscopie, échographie) et l’expertise dans le domaine chimique acquise avec la photo.
Au côté de l’image et de la bureautique, la santé est présentée comme le nouveau pilier de croissance, de la prévention (avec des compléments alimentaires ou des cosmétiques) au traitement (oncologie, infections et maladies neuromusculaires notamment), en passant par le diagnostic via les appareils d’imagerie.
AFP