Un accusé absent condamné à 20 ans de prison, l’autre acquitté. Quatorze ans après l’assassinat mystérieux de deux Congolais en France, de nombreuses questions restent sans réponse au terme du procès des commanditaires présumés.
« C’est un procès des riches contre de petits noirs et le riche s’en est sorti », a réagi vendredi soir Me Jean-Baudouin Kakela Shibaba, avocat des familles des victimes, à l’issue du verdict rendu par la COUR d’assises de Grenoble (centre-est).
Les jurés ont condamné l’homme d’affaires belge Benoît Chatel à 20 ans de réclusion et a acquitté son ancien associé, l’architecte d’intérieur monégasque Alain Deverini. Les parties civiles n’ont pas caché leur frustration face à cette affaire aux multiples énigmes. D’autant qu’un seul des trois accusés, Alain Deverini, était présent dans le box.
Aucune peine n’avait été requise à son encontre par l’avocat général Patrick Quincy qui avait fait part de ses doutes. « Deverini est (…) complice de complice. Cela n’existe pas la complicité de complicité en droit pénal », avait-il estimé.
Il avait en revanche été plus sévère à l’encontre de Benoît Chatel, escroc patenté, manipulateur, informateur des services secrets français et congolais. Benoît Chatel « est entièrement responsable, totalement coupable de ce double assassinat commis dans des conditions atroces » qu’il « a commandité, a organisé », a estimé M. Quincy.
Chatel et Deverini, aidés de l’Italien Domenico Cocco qui doit être jugé plus tard, étaient accusés d’avoir fomenté l’assassinat de Philémon Mwami Naluhwindja, chef Maï Maï d’une tribu de la région du Sud-Kivu en République démocratique du Congo (RDC), et d’Aimé-Noël Atembina, conseiller militaire du gouvernement de l’ex-Zaïre à l’époque du maréchal-président Mobutu Sese Seko.
Leurs corps avaient été retrouvés dans une voiture en feu le 29 décembre 2000, dans un champ de maïs à Chasse-sur-Rhône, au sud de Lyon (centre-est). Les trois hommes étaient censés avoir voulu éliminer des « putschistes » supposés pour protéger leurs affaires en RDC, selon la thèse de l’accusation.
Mais on a appris à l’audience que Philémon Mwami, qui n’était pas un opposant au successeur de Mobutu, Laurent-Désiré Kabila, a vraisemblablement été tué par erreur, ayant remplacé in extremis un général mobutiste, Kpama Baramoto Kata, au rendez-vous de Lyon.
« Titanic judiciaire »
On ne sait en revanche toujours rien des deux tueurs, qui n’ont jamais été retrouvés. Qui plus est, le mobile des assassinats reste nébuleux quatorze ans après les faits, aux dires mêmes des enquêteurs.
L’absence de Benoît Chatel, principal mis en cause, laisse aussi un goût amer aux parties civiles. Après sa mise en examen, l' »indic » n’a cessé de voyager en dépit d’un contrôle judiciaire qui le lui interdisait. Il serait aujourd’hui à Lubumbashi, dans le sud-est de la RDC, selon Philippe Chansay-Wilmotte, avocat belge d’une partie civile, qui conseille par ailleurs l’actuel président de la RDC, Joseph Kabila.
« Dans cette affaire, il y a des points d’interrogation partout », a lancé Me Alain Fort, avocat de Deverini, qui n’a eu aucun mal à dénoncer « un Titanic judiciaire ». « Ce que je n’accepte pas c’est qu’on mette la responsabilité du naufrage du Titanic sur un passager de seconde classe », a-t-il tonné.
L’implication de Deverini, au casier judiciaire vierge, reposait essentiellement sur ses déclarations: il avait demandé à Cocco « d’éradiquer le problème des noirs ». A l’audience, le décorateur d’hôtels de luxe et de casinos s’est défendu en plaidant l’ignorance et la naïveté.
La défense a aussi mis en avant les autres pistes possibles de l’assassinat, comme le trafic d’uranium auquel se livrait Philémon Mwami ou le rôle trouble des services secrets.
Me Fort s’est félicité du verdict de la cour d’assises qui « répare la tourmente judiciaire qui s’est abattue sur Alain Deverini pendant quinze années ». « Cette décision a le mérite de lui rendre son honneur », a-t-il salué.
JA