Le bilan de ses deux mandats, la réforme du franc CFA, ses relations avec Bédié, Soro et Gbagbo… Dans sa première interview depuis qu’il a annoncé qu’il ne briguerait pas sa propre succession, le chef de l’État ivoirien revient sur sa carrière politique et explique les raisons qui l’ont poussé à choisir son dauphin.
En annonçant, le 5 mars, sa décision de ne point briguer de troisième mandat, Alassane Ouattara a surpris tout le monde, à part quelques initiés triés sur le volet. Un acte fort, historique, disent certains, car, pour la première fois en Côte d’Ivoire, un président élu démocratiquement organisera une passation de pouvoirs avec un autre président élu démocratiquement. C’est également une pierre dans le jardin des autres chefs d’État africains qui seraient tentés de jouer les prolongations.
Ce choix, en réalité, le président ivoirien l’avait fait il y a longtemps, dès la promulgation de la IIIe République, avec la Constitution de 2016. Si ses certitudes ont vacillé lors des mutineries de janvier et mai 2017, il ne l’a jamais remis en cause depuis que la situation sécuritaire est revenue à la normale.
Ensuite, il n’a été question que de stratégie. Annoncer trop tôt sa décision comportait de nombreux risques, dont celui de voir son autorité sapée ou d’assister à une guerre d’ambitions néfaste pour l’unité de son camp. Trop tard, et le candidat appelé à représenter le RHDP lors de la présidentielle d’octobre prochain aurait été mis en difficulté, empêché d’asseoir sa légitimité et d’effectuer une campagne digne de ce nom.
Ce candidat, ce sera son Premier ministre et plus proche collaborateur depuis trente ans, Amadou Gon Coulibaly. Dans l’entretien qui suit, le premier accordé depuis son annonce et sans doute le dernier en tant que président, Alassane Ouattara explique pourquoi il a choisi de respecter son engagement et fait de Gon Coulibaly son dauphin.
Il revient également sur ses deux mandats, aborde ses relations avec Henri Konan Bédié et Guillaume Soro, évoque le cas Laurent Gbagbo, revient sur la réforme du franc CFA, se retourne sur son passé et sa carrière politique, mais envisage aussi l’avenir, celui de son pays comme le sien. Il nous a reçus dans son bureau de la présidence le 9 mars pour un entretien de plus d’une heure. Souriant, décontracté et volubile. Presque libéré…
Jeune Afrique : Vous avez annoncé le 5 mars votre décision de ne pas briguer un troisième mandat. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Alassane Ouattara : C’est une décision prise de longue date, notamment depuis l’adoption de la Constitution de 2016, et j’ai eu l’occasion de l’annoncer à plusieurs reprises. Dix ans au pouvoir, cela suffit largement. Et j’ai pour habitude de respecter mes engagements.
Votre position a-t-elle évolué au fil des mois ou des circonstances ? En d’autres mots, avez-vous hésité ?
C’est vrai que j’ai eu quelques appréhensions en 2017, avec les mutineries qui ont ébranlé tout le monde, y compris moi-même. Je me suis dit : « Si nous n’arrivons pas à rétablir la sécurité, est-ce que ce serait dans l’intérêt de mon pays de partir ? » Mais, depuis 2018, nous avons remis les choses en place, le niveau de sécurité est maintenant satisfaisant, les forces de défense et de sécurité sont vraiment professionnelles et républicaines. Par conséquent, il n’y a plus de raison de douter de l’avenir et de la stabilité du pays.
Vous avez un temps lié votre candidature à celles d’Henri Konan Bédié et de Laurent Gbagbo. C’était une menace ?
Disons que c’était une stratégie…
JA