En dépit de sa virulence à l’échelle planétaire, la pandémie du Covid s’est accompagnée, comme chacun sait, d’une exception troublante : l’Afrique, mystérieusement épargnée. La catastrophe sanitaire redoutée n’a pas eu lieu.
Toutefois, après vingt-cinq années sans récession, le continent africain a dû faire face aux ravages socio-économiques inhérents à la propagation de ce virus : de toutes les régions du monde, elle est, en effet, celle qui en a le plus souffert. Les économies africaines ont été violemment malmenées, effaçant les gains des années pré-Covid. Le tourisme, qui représentait 10 % des recettes du continent, a dégringolé dans la plupart des pays, notamment en Tunisie, au Maroc, au Kenya, en Tanzanie, à Maurice, en Afrique du Sud…
Effondrement des exportations
Les exportations de matières premières du Nigeria, de l’Angola, de la RDC se sont effondrées. La Côte d’Ivoire et le Kenya notamment ont vu leurs activités de commerce agricole vers l’étranger plonger, avec la rupture des chaînes d’approvisionnement. Des gouvernements financièrement limités et surendettés ont échoué à honorer leurs dettes et ont réemprunté en urgence. Le défaut de la Zambie fut le premier, les autorités jetant l’éponge, incapables d’honorer leurs obligations vis-à-vis des prêteurs. Les sorties de capitaux qui ont atteint, en un temps record, un niveau sans précédent dans les pays émergents, ont eu des répercussions considérables en Afrique, à l’exception de l’Afrique centrale, provoquant la chute des investissements.
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Après trois années de sécheresse à Madagascar, la famine s’est aggravée avec l’érosion des emplois saisonniers, et au Mali, au Burkina Faso, au Tchad, en Algérie, les pénuries d’aliments importés tels que l’huile de cuisson, les céréales, le sucre ont généré des hausses de prix, frappant de plein fouet des masses au pouvoir d’achat étriqué. Les licenciements et les cessations d’activités ont renvoyé des millions de travailleurs sous le seuil international de pauvreté fixé à 1,90 dollar par jour.
Selon une enquête publiée sur le site de la Banque mondiale, « au Nigeria, 79 % des personnes sondées ont fait état de pertes de revenus et 42 % ont indiqué avoir perdu leur emploi ». Toujours dans la même publication, on trouve une estimation « optimiste » de 13 millions de personnes menacées de basculer dans la pauvreté quand, simultanément, les fermetures d’écoles ont expulsé les élèves vers la déscolarisation – pour certains définitivement.
Crise de l’énergie
Une autre crise, plutôt silencieuse mais bel et bien dévastatrice, est apparue dans le sillage de la reprise économique post-Covid. En 2021, la flambée des prix de l’énergie, notamment du gaz, s’est répercutée sur la production mondiale de fertilisants, tributaires de cette ressource.
L’EXPLOSION DES COÛTS EST INSURMONTABLE POUR LES AGRICULTEURS
Si la majorité des pays du monde est confrontée à cette situation, elle se manifeste avec une plus forte acuité en Afrique, déjà en proie à l’aggravation de la faim depuis 2019 selon la FAO. Bien qu’elle détienne les plus importantes réserves de terres arables inexploitées de la planète, sa production agricole demeure insuffisante, amplifiée par de faibles rendements. Bien qu’elle regorge des matières premières nécessaires à la fabrication des engrais, elle dépend principalement des importations pour doper ses sols. En Afrique du Sud par exemple, les engrais représentent 36 % des dépenses en intrants.
Avec une augmentation des prix de près de 95 % pour les engrais phosphoriques, de 78 % pour l’urée et de 138 % pour les engrais potassiques, l’explosion des coûts est insurmontable pour les agriculteurs dont les futures récoltes seront pénalisées. Les prochaines campagnes agricoles ainsi compromises, les risques sur la sécurité alimentaire du continent redoublent.
Interminables files d’attente
Sans répit, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a démultiplié les pénuries mondiales en désarticulant les circuits d’approvisionnement et les systèmes de prix qui permettent au marché de fonctionner. Là encore, non seulement l’Afrique n’échappe pas aux conséquences, mais en plus, les effets qu’elle subit ont une puissance décuplée. L’embargo sur le pétrole russe et l’envolée des prix privent de nombreux pays africains de carburants dans le paradoxe le plus total. Le Nigeria, pourtant premier producteur d’or noir en Afrique mais dépourvu d’infrastructures de raffinage, importe quasiment 90 % de son carburant. Le pays est débordé par une ruée impressionnante sur l’essence avec des files d’attente interminables.
Le Kenya paralysé par le manque d’essence a finalement opté pour le rationnement aux pompes ; des scènes de chaos ont été vues dans plusieurs capitales africaines autour de stations-services à sec. Au Sénégal, à cause de la pénurie de kérosène provoquée par les problèmes de ravitaillement, les avions ont carrément été cloués au sol. Et ce n’est guère mieux quand il s’agit de se nourrir en 2022, à des milliers de kilomètres d’une zone de guerre.
Triple crise
Selon le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, 45 pays africains importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie, et d’après les données de l’ONU, 25 pays africains ont importé plus de 33 % de leur blé depuis l’Ukraine et la Russie en 2020, avec des taux à 100 % pour la Somalie et le Bénin ou 75 % pour le Soudan. Dépendante de l’étranger pour ses denrées alimentaires, et important majoritairement d’Ukraine la moitié de ses besoins en blé, la Tunisie affronte une pénurie de produits alimentaires de base comme le riz, la semoule, le sucre et la farine. L’Égypte, actuellement au bord de la crise alimentaire, possède moins de quatre mois de consommation nationale de stock de blé, dont 85 % de ses importations de blé viennent d’Ukraine et de Russie, et la Côte d’Ivoire, afin de contrer l’inflation alimentaire, a annoncé un contrôle des prix et des subventions sur une liste de produits de grande consommation.
Abstraction faite du volet sanitaire, l’Afrique toute entière expérimente tous les chocs mondiaux. Tous les voyants sont au rouge vif ; le spectre de la « triple crise », endettement – inflation – alimentation, qui plane, pourrait conduire des États vers le gouffre et provoquer des troubles sociaux majeurs dans des régions déstabilisées par des conflits armés et des tensions politiques. Dans un contexte mondial à l’issue incertaine, les dépendances importantes révèlent cruellement les vulnérabilités et les défaillances structurelles du continent africain, dramatiquement fragilisé par sa surexposition aux conjonctures internationales.
AFP