Décédé ce 25 décembre, Soumaïla Cissé aura consacré trente années de sa vie à la politique malienne, dont il était devenu l’un des personnages les plus emblématiques. Il avait aussi, à trois reprises, brigué la magistrature suprême.
Moins de trois mois se seront écoulés entre la libération de Soumaïla Cissé et son décès, survenu le 25 décembre, à Paris, où il était hospitalisé. Selon l’un de ses proches joint par Jeune Afrique, il avait contracté le coronavirus et son état s’était dégradé au point qu’il avait dû être transporté en France, il y a une dizaine de jours. Il avait 71 ans.
Sa libération, annoncée le 8 octobre, avait soulevé une vague d’espoir parmi ses partisans et les militants de son parti, l’Union pour la République et la démocratie (URD). Personnage emblématique de la scène politique malienne, Soumaïla Cissé était aussi, avant son enlèvement et avant qu’un coup d’État ne chasse Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) du pouvoir, en août dernier, la principale figure de l’opposition.
Il avait été kidnappé le 25 mars alors qu’il battait campagne pour les élections législatives prévues quatre jours plus tard dans son fief de Niafunké, dans la région de Tombouctou. L’enlèvement, en plein jour, d’une personnalité politique de premier plan était devenu le symbole de l’impuissance de l’État face aux violences jihadistes et l’exigence de sa libération avait été l’un des mots d’ordre de la contestation qui, de mai à juillet, a fait trembler le régime d’IBK.
Le 8 octobre, Soumaïla Cissé et d’autres otages occidentaux, dont la Française Sophie Pétronin, étaient finalement libérés et arrivaient à Bamako après avoir été échangés par le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ag Ghali. En contrepartie, le groupe jihadiste avait obtenu la libération de prisonniers détenus dans les prisons maliennes et le versement d’une somme d’argent dont le montant n’a jamais été révélé.
Tournée de remerciements
Jeune Afrique avait pu rencontrer Soumaïla Cissé, fin octobre. Il était venu à Paris accompagné de son épouse, Astan Traoré, pour y passer quelques examens médicaux. Il expliquait être en forme, mais un check-up s’imposait. Il nous avait raconté sa longue détention (six mois) et comment il avait appris, en écoutant la radio alors qu’il était toujours retenu en otage, la chute du président IBK.
Interrogé sur ses intentions, il avait expliqué vouloir prendre le temps de « se reposer et se remettre à niveau ». Il était ensuite rentré à Bamako et avait entamé, ces dernières semaines, une tournée pour remercier les chefs d’État de la région qui s’étaient impliqués pour sa libération. Il avait notamment été reçu par le Sénégalais Macky Sall, par le Ghanéen Nana Akufo-Addo, par ailleurs président en exercice de la Cedeao, par le Togolais Faure Essozimna Gnassingbé et par le Nigérien Mahamadou Issoufou. Il devait encore se rendre au Burkina Faso, pour y rencontrer Roch Marc Christian Kaboré, et en Côte d’Ivoire pour échanger avec Alassane Ouattara.
Soumaïla Cissé n’avait pas encore formellement exprimé son intention de se relancer en politique. Il n’avait pas non plus dit s’il comptait partir à l’assaut de la présidence, mais certains de ses partisans le voyaient déjà à Koulouba à l’issue des dix-huit mois que doit durer la transition dirigée par Bah N’Daw.
Le 27 décembre, l’URD devait se réunir en congrès pour définir sa position vis-à-vis de la gestion de la transition et discuter des prochaines échéances électorales. À l’issue des dernières législatives, le parti avait remporté 19 sièges, avant la dissolution de l’Assemblée nationale par IBK le jour du putsch.
« Républicain »
Avec le décès de Soumaïla Cissé, c’est une figure de la classe politique malienne qui disparaît. « Soumaila Cissé s’en va à un tournant critique de notre évolution en tant que nation, a réagi Bah N’Daw dans un communiqué diffusé vendredi. Nul doute qu’en ce moment, le pays avait encore particulièrement besoin de son expérience et de sa sagesse pour relever les défis de l’heure. » « Je témoigne du leadership et de la remarquable contribution de Soumaïla Cissé à la préservation du cadre républicain ainsi que des acquis démocratiques, fruits de la lutte pluri-décennale des forces politiques et de la société civile du Mali », a pour sa part déclaré Tiébilé Dramé, ancien ministre des Affaires étrangères qui fut également le directeur de campagne de Cissé, en 2018. L’ancien Premier ministre Moussa Mara a pour sa part souligné que « Soumaila a consacré les 40 dernières années de sa vie aux Maliens, à notre pays et à notre région ouest-africaine. Partout où il a servi, il a laissé le souvenir d’un homme compétent et affable. »
Ingénieur-informaticien de formation, Soumaïla Cissé avait commencé par militer au sein de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adéma-PASJ), dès sa création en 1991, avant de lancer son propre parti, au début des années 2000. Technocrate aux compétences reconnues, il avait à plusieurs reprises été ministre des Finances, entre 1993 et 2000.
En 2002, il s’est lancé dans sa première course à la présidentielle face à Amadou Toumani Touré (ATT, lui-même décédé début novembre). Battu, il s’éloignera de l’arène politique pour diriger la commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) de 2004 à 2011.
De nouveau candidat en 2013, il est défait dans les urnes au second tour face à IBK et reconnaît rapidement sa défaite. En 2018 en revanche, alors que les résultats officiels le donnent une nouvelle fois perdant face à IBK, il les conteste et dénonce des fraudes. Tout au long de la présidence d’IBK, il n’aura d’ailleurs de cesse de critiquer la mauvaise gouvernance et l’incapacité de l’État à enrayer la crise sécuritaire.
Réagissant à l’annonce de son décès, Macky Sall a tenu à rendre hommage à « Soumaïla Cissé, ancien président de la commission de l’Uemoa et figure historique de la vie politique malienne ». « Au nom du Sénégal, je présente mes condoléances émues à sa famille, au président Bah N’daw et au peuple malien frère », a-t-il ajouté. « Je viens d’apprendre la disparition de Soumaila Cissé, chef de l’opposition malienne, que j’ai reçu récemment à Niamey, à pour sa part réagi Mahamadou Issoufou. J’adresse mes sincères condoléances à sa famille, aux militants de son parti et à l’ensemble du peuple. Que son âme repose en paix. »