L’interpellation depuis lundi de plusieurs personnalités, dont l’activiste Ras Bath et le secrétaire général de la présidence, Sékou Traoré, par la Direction générale des services de l’État, suscite l’inquiétude.
Que se passe-t-il au Mali ? Depuis trois jours, l’actualité est rythmée par des informations faisant état de l’arrestation de plusieurs personnalités. Il y a d’abord eu celle de Mohammed Youssouf Bathily, communément appelé Ras Bath.
Le leader du Collectif pour la défense de la République (CDR), également chroniqueur radio, s’est rendu célèbre par ses diatribes contre la gestion d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) lorsque celui-ci était au pouvoir. Une liberté de ton qu’il a conservée depuis la mise en place de la transition.
Mais depuis lundi, ses proches sont sans nouvelles de lui. « Deux hommes en civil sont venus l’interpeller à son domicile, confie à Jeune Afrique un membre de son entourage. Depuis, personne ne l’a vu. Nous ne savons pas non plus ce qu’on lui reproche. »
Dans un communiqué, la direction de Renouveau FM, où Ras Bath anime l’émission « Grands dossiers », évoque un « enlèvement ». « En attendant d’être édifié, le groupe Renouveau rappelle par la même occasion que la liberté d’expression demeure un droit constitutionnel protégé dans toutes les sociétés modernes de notre époque », précise-t-elle.
Climat tendu
Plusieurs sources sécuritaires précisent que l’activiste a été arrêté par la Direction générale des services de l’État (DGSE). Cette interpellation intervient dans un climat tendu entre les autorités de la transition et les organisations de la presse malienne, qui craignent de voir leur liberté d’expression limitée par les mesures annoncées par le gouvernement pour faire face à la seconde vague du Covid-19.
Mardi, les représentants des médias ont animé une conférence de presse pour faire part de leur colère. « Si une procédure normale avait été engagée contre lui, nous aurions utilisé les voies légales pour suivre ce qui se passe, regrette Bandiougou Dante, président de l’Union des radios et télévisions libres du Mali. Nous voulons une clarification par rapport à cette arrestation. Aujourd’hui, c’est la liberté d’expression et la démocratie qui sont remises en question. »
« Tentative de déstabilisation »
Depuis l’interpellation de Ras Bath, au moins trois personnes ont été arrêtées : Vital Robert Diop, directeur du Pari mutuel urbain (PMU) du Mali, Souhahebou Coulibaly, qui est à la tête de l’Agence de gestion du fonds d’accès universel (Agefau), et Sékou Traoré, secrétaire général de la présidence. Pour quelle raison ?
Pour l’heure, les autorités maliennes restent silencieuses et les rumeurs vont bon train.
L’une des pistes les plus partagées évoque une « tentative de déstabilisation des organes de transition » qui aurait été préparée par l’ancien Premier ministre de la transition, Boubou Cissé. Ce dernier, qui était resté discret depuis sa remise en liberté début octobre, est sorti de son silence pour démentir ces accusations.
« Je tiens à prendre l’opinion nationale et internationale comme témoins de cette odieuse tentative de jeter le discrédit sur ma personne et l’idéal politique que je suis supposé incarner : je ne suis ni directement ni indirectement, de quelque manière que ce soit, associé à un projet de déstabilisation des institutions de mon pays, et je défie quiconque d’en apporter la preuve contraire », a-t-il écrit sur sa page Facebook mardi.
Mais l’épisode est loin d’être clos. Selon une autre source sécuritaire malienne contactée par l’AFP, « d’autres interpellations sont possibles pour faire avancer l’enquête ».
Arrestations sans base légale
Les organisations des droits humains se sont saisies de l’affaire. « Lorsque nous avons appris, sur les réseaux sociaux, une série d’arrestations dont nous pouvons dire qu’elles sont sans base légale, car elles n’ont pas été suscitées par des juges, nous avons investigué pour nous assurer de la véracité des faits », confie Aguibou Bouaré, président de la Commission nationale des droits de l’homme.
« Nous avons eu la confirmation que tous étaient dans les mains de la DGSE, sauf le secrétaire général de la présidence qui avait pu rentrer chez lui hier aux alentours de 22 heures et qui devait s’y présenter aujourd’hui. Nous cherchons à rencontrer les autorités pour avoir plus d’informations sur ce qui se passe », détaille-t-il.
« Malgré le fait que la loi nous donne mandat de visiter tous les lieux de privation de liberté, nous avons du mal à accéder à la DGSE, qui du reste n’est pas un lieu de détention légal », regrette Aguibou Bouaré.
Pour Brahima Fomba, enseignant à l’université des sciences juridiques et politiques de Bamako, « ces pratiques ont toujours existé et faisaient partie des griefs contre le régime d’IBK. L’État a tous les moyens d’interpeller dans les règles de l’art mais la DGSE continue d’agir comme dans un État voyou. C’est inquiétant car cela marque le durcissement du régime. »
JA