Alors que des incidents ont eu lieu lundi à Abidjan et dans quelques villes ivoiriennes, la Cedeao invite les opposants Henri Konan Bédié et Pascal Affi Nguessan à « reconsidérer leur mot d’ordre de désobéissance civile ».
Comme ses camarades du groupe scolaire André Malraux, dans le centre d’Abidjan, Jean* n’ira pas en classe ce lundi 19 octobre. Avec son uniforme beige et son petit sac à dos, il longe l’échangeur de la Riviera 2 à la recherche d’un woro-woro (taxi collectif) ou d’un gbaka (mini-car) pour rejoindre sa mère qui travaille au CHU de Cocody. Sur le rond-point, dominé par une grande affiche de campagne d’Alassane Ouattara, un bus de la Sotra, la compagnie publique de transport, finit de se consumer. Une petite dizaine de jeunes l’ont incendié.
« Ils étaient neufs. Ils ont bloqué le bus, demandé aux passagers de sortir et en ont racketté certains », raconte un vendeur. Une voiture portant une plaque gouvernementale a aussi payé le prix de leur colère. Un peu plus loin, vers le village d’Anono, des barricades faites de tables et de pneus brûlés ont été érigées. « Alassane Ouattara, c’est fini », lance l’un des manifestants qui, tout au long de la journée, joueront au chat et à la souris avec la police.
Sur le rond-point de l’échangeur de la Riviera 2, à Cocody, un bus de la Sotra a été incendié par les manifestants.
Haute tension
À moins de deux semaines de l’élection présidentielle, la tension est montée d’un cran dans certaines localités du pays comme Bonoua, Divo, Dabou ou Kotobi (près de Bongouanou), où la gendarmerie a été saccagée. Plusieurs établissements scolaires d’Abidjan ont fermé leurs portes dans la confusion. La Fédération étudiante et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) avait préalablement lancé un préavis de grève de 72 heures, avant finalement de suspendre son mot d’ordre.
Circonscrits à quelques quartiers, les heurts d’Abidjan n’ont pas fait de victimes. À Bonoua, en revanche, un jeune homme a perdu la vie, touché par une balle. Des affrontements ont opposé des manifestants qui avaient barré la route principale et les forces de l’ordre.
Samedi, trois personnes sont mortes dans des violences intercommunautaires à Bongouanou, fief de Pascal Affi N’Guessan, situé à 200 km au nord d’Abidjan. Un couvre-feu a été instauré et des médiations ont été organisées, permettant un retour relatif au calme. Toutefois, lundi, certains accès à la ville restaient bloqués par des barrages. « La situation est encore très tendue. Si rien n’est fait, il sera difficile d’organiser une élection ici. À chaque fois qu’il y a des tensions politiques au plan national, elles se transforment sur le plan local en conflits entre communautés », confie un élu. La contestation contre le troisième mandat d’Alassane Ouattara a déjà fait une vingtaine de morts. La distribution des cartes d’électeurs par la Commission électorale indépendante (CEI) a été perturbée dans 16 localités, forçant les autorités à la délocaliser dans l’enceinte de la gendarmerie.
L’opposition désavouée par la Cedeao
Ces événements sont intervenus alors qu’une nouvelle délégation de la Cedeao, conduite par la ministre ghanéenne des Affaires étrangères, Shirley Ayorkor Botchway, achevait sa mission. Après avoir rencontré le chef de l’État ivoirien, le Premier ministre, le ministre de la Sécurité, ainsi que les autres candidats à la présidentielle – Henri Konan Bédié, Affi N’Guessan et Kouadio Konan Bertin –, la Cedeao a publié un communiqué dans lequel elle dit avoir « constaté la méfiance persistante des candidats et acteurs politiques » et « la persistance des points de divergence relatifs au processus électoral ».
La mission de la Cedeao exhorte le PDCI et le FPI à reconsidérer la décision de boycotter l’élection
La mission a également « exhorté les candidats du PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire] et du FPI [Front populaire ivoirien] à reconsidérer sérieusement la décision de boycotter l’élection et l’appel à leurs partisans à se lancer dans la désobéissance civile pour protester contre le processus électoral » et les a encouragés à plutôt « œuvrer de façon sérieuse pour parvenir à un consensus puisqu’ils pourraient ne pas être en mesure de contrôler les excès qui résulteraient de leur appel ».
À la sortie de sa rencontre avec le Premier ministre, Hamed Bakayoko, la cheffe de la diplomatie ghanéenne a également appelé les militants de l’opposition à ne pas se laisser utiliser « pour perpétrer des actes de violence, comme le blocage des routes ». « Ce sont des activités criminelles. En démocratie, si le peuple doit pouvoir s’exprimer, c’est à travers le vote », a-t-elle poursuivi, écartant l’hypothèse d’un report du scrutin.
Des déclarations qui sonnent comme une forme de désaveu pour l’opposition, dont les principaux leaders doivent se réunir de nouveau. Dimanche, Bédié avait sollicité « l’implication personnelle » du secrétaire général des Nations unies, António Guterres, « dans la résolution de la grave crise politique qui secoue encore [le] pays », accusant Alassane Ouattara de ne vouloir « écouter personne » et de refuser « tout dialogue ».
« L’opposition est prise à son propre piège. Elle incite indirectement à la violence et à des modes d’action illégaux. Et pour tout le monde, le recours à la violence est une ligne rouge », estime un diplomate en poste à Abidjan.
Ouattara à l’offensive
Conforté dans sa position par la diplomatie ouest-africaine, le président ivoirien poursuit sa campagne. S’il n’effectuera au total que deux meetings, il a rencontré dimanche la chefferie traditionnelle à Man. Comme à Bouaké deux jours plus tôt, le chef de l’État a alors tancé ses adversaires.
Les chances de voir les positions de Bédié et de Ouattara se rapprocher s’amenuisent
« Nous sommes quatre candidats, mais il y en a deux qui hésitent encore. On me dit qu’ils n’ont pas assez d’argent pour la campagne. On va demander au ministre des Finances de leur faire crédit. Ils parlent de dialogue, hier le Premier ministre les a conviés au dialogue, mais tous ne sont pas venus […]. Ils savent que s’ils viennent aux élections, ils seront largement battus. Ils seront humiliés et c’est ça qu’ils essaient d’éviter », a-t-il lancé.
Une preuve supplémentaire que si le contact indirect avec Bédié n’est pas rompu, les chances de voir les positions se rapprocher s’amenuisent de jour en jour. À douze jours de l’élection, le temps du dialogue est-il révolu ?
Jeuneafrique