Le leader du Rassemblement guinéen pour le développement se présente pour la première fois à l’élection présidentielle. S’il affirme « s’attendre à la fraude », l’ancien membre du FNDC compte sur l’opposition pour l’empêcher.
L’alternance avant tout. Le candidat de l’opposition Abdoul Kabèlè Camara a définitivement rompu avec Alpha Condé, dont il fut pourtant le ministre de la Défense (2010-2015) et de la Sécurité (2015-2018). L’ancien patron du barreau guinéen, qui a fait une longue partie de sa carrière au Sénégal, a aussi été l’avocat du président sortant. En 2002, c’est d’ailleurs l’arrestation de celui qui est alors l’opposant du chef de l’État Lansana Conté qui provoque la rupture d’Abdoul Kabèlè Camara avec le Parti de l’unité et du progrès (PUP). Il rejoindra toutefois le gouvernement de consensus de Lansana Conté en 2007, où il héritera du portefeuille des Affaires étrangères.
Mobilisé contre la réélection du président sortant, Abdoul Kabèlè Camara en dénonce aujourd’hui les « promesses trahies » et « l’improvisation permanente » en matière de gouvernance. Il tire néanmoins une certaine fierté de la réforme des forces de défense et de sécurité, qu’il pilota lors de son passage à la Défense.
À 70 ans, ce natif de Coyah (Guinée maritime) concourt désormais sous la bannière du Rassemblement guinéen pour le développement (RGD), dont il est le leader depuis sa sortie du gouvernement en 2018. Mobilisé contre la modification de la Loi fondamentale, l’ancien député a rejoint les rangs du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) afin de faire barrage au troisième mandat d’Alpha Condé.
Il en a toutefois été exclu de fait pour avoir fait fi de son mot d’ordre de boycott, et ne répondra pas à l’appel à manifester lancé par ses anciens camarades du FNDC, jeudi 15 octobre. S’il s’affirme en faveur de « toute stratégie » visant à barrer la route à Alpha Condé et se dit prêt à soutenir le candidat de l’opposition en cas de second tour face à Alpha Condé, « quel qu’il soit », il assure préférer la politique « de porte-à-porte » à celle de la rue. Et s’en explique à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Vous évoquez dans votre programme un « nouveau pacte social » pour la Guinée. En quoi cela représente-t-il votre vision pour votre pays ?
Abdoul Kabèlè Camara : Ce pacte social est illustré par notre slogan, « mon pays, ma fierté ». Pour atteindre notre objectif, il est important de miser sur le rassemblement de tous les Guinéens, la réconciliation et le pardon. C’est en se basant sur ces fondamentaux que nous pourrons réaliser le développement de la Guinée, et ce, par tous les Guinéens. C’est la logique dite des « trois R » : rassembler, réconcilier et réaliser le développement.
Au niveau économique, quelles sont les principales mesures que vous estimez nécessaires pour atteindre ce développement ?
En Guinée, les réformes économiques ont purement et simplement échoué. L’une des faiblesses du gouvernement actuel est l’improvisation permanente et la désorganisation. Si je suis élu, notre gouvernement s’appuiera sur une approche stratégique visant les secteurs prioritaires de notre économie que sont l’agriculture, l’eau et l’énergie, les mines, le tourisme, l’environnement. Nous mettrons également l’accent sur le développement des infrastructures (routières, de chemin de fer, sanitaires et scolaires) et le désenclavement des zones rurales.
Vos anciens collègues du FNDC ont lancé un appel à manifester jeudi, à trois jours du premier tour du 18 octobre. Comptez-vous y participer ?
Le FNDC avait fait une déclaration pour dire que tous ceux qui ont fait acte de candidature à l’élection présidentielle sont exclus de ses rangs. Nous menons pourtant le même combat, celui de l’alternance démocratique. À l’heure actuelle, je me consacre à la campagne et je ne participerai à aucune marche. La politique de la chaise vide ne permet pas d’obtenir cette alternance, c’est pourquoi nous avons décidé de participer à ces élections.
Le candidat de l’UFDG, Cellou Dalein Diallo, a pourtant annoncé sa participation au rassemblement, et entend mobiliser à la fois dans les urnes et dans la rue. Pensez-vous qu’il s’agit d’une mauvaise stratégie ?
Je ne peux pas apprécier la position de mon frère et ami Cellou Dalein Diallo, chacun est libre de son choix. Le combat du FNDC actuel et le nôtre sont identiques. Chaque membre ou ex-membre du front est libre de choisir l’aventure qui lui conviendra. Nous menons le combat de notre manière : en participant aux élections et en appuyant toute autre stratégie qui pourrait amener à faire prendre conscience au président sortant qu’il n’est pas sur la bonne voie. Nous avons choisi de mener une politique de porte-à-porte, nous sensibilisons nos électeurs et leur disons que voter pour Alpha Condé, c’est déconstruire la démocratie.
Dans l’hypothèse d’un second tour auquel vous ne participerez pas, soutiendrez-vous le candidat de l’opposition ?
Je souhaite participer à ce deuxième tour et même gagner dès le premier tour. Mais nous avons pour principe de défendre l’alternance démocratique. Le président sortant a fait passer par la force ce projet de Constitution qui a été falsifié in fine. Quel que soit le cas de figure, et qui que soit le candidat de l’opposition qui arrivera au deuxième tour, nous le suivrons.
Validé par la Cedeao, le fichier électoral est toutefois critiqué par plusieurs partis de l’opposition, qui l’accusent de favoriser le parti au pouvoir. Considérez-vous que les conditions pour un scrutin libre et transparent sont réunies ?
Le RGD, membre du comité de pilotage du FNDC, a réclamé l’assainissement du fichier électoral. On ne peut pas dire que le RGD n’a pas été virulent dans la dénonciation dudit fichier. Malgré quelques difficultés et des petits problèmes au niveau de la Ceni, nous irons aux élections. Mais nous demandons que le code électoral soit appliqué à la lettre.
La Ceni ne peut pas dire ce que la loi ne dit pas. Il faut qu’elle sorte de cette dépendance au président sortant. Dans les différents départements du pays, le RPG est représenté dans tous les bureaux de vote, tandis que les partis des oppositions sont représentés par quotas. C’est contraire à ce qu’indique le corps électoral !
L’UFDG évoque également sa crainte de ne pas pouvoir accéder aux procès-verbaux des bureaux de vote…
C’est une autre violation. Le problème a été posé au niveau de la Ceni. Il faut que les partis politiques qui participent aux élections aient accès aux procès-verbaux. Si on les écarte, cela veut dire qu’on a l’intention de dissimuler et de modifier les résultats. Les différents partis rencontreront la Ceni pour sonder ses intentions, et nous allons les dénoncer si nous voyons qu’elles n’assurent pas l’égalité des chances entre les candidats.
Toutes les élections organisées en Guinée ont été émaillées de fraudes. Les dernières élections couplées au référendum en sont la preuve. Quand on vient ramasser les urnes à 13 heures alors que le bureau de vote doit fermer à 18 heures, la violation du code électoral est flagrante. La fraude, on s’y attend. L’opposition va mutualiser les efforts pour sauvegarder les résultats qui sortiront des urnes.
Vous avez été ministre d’Alpha Condé pendant huit ans, et votre sortie du gouvernement date de 2018. Ne craignez-vous pas que cette expérience vous porte préjudice ?
Il n’existe aucune manœuvre. Ce n’est pas parce que j’ai été ministre du président sortant que cela va me porter préjudice. Je gagnerai ces élections. Partout, un homme politique commence par être conseiller municipal, puis maire, député, ministre et, in fine, il peut briguer la magistrature suprême. J’ai été député, ministre, et suis aujourd’hui candidat à la présidentielle. C’est logique, on ne peut pas épiloguer sur de telles questions.
Quelle expérience avez-vous tiré de cette fonction de ministre ?
J’ai pu mener la réforme du secteur de la sécurité dans de bonnes conditions. J’ai appris à connaître nos compatriotes militaires, les gendarmes, des patriotes et des républicains. Mon expérience en tant que ministre d’État et de la Sécurité m’a conduit à réformer les forces de police. J’ai initié la loi sur le maintien de l’ordre public, qui a permis une meilleure organisation de la mobilisation des forces de l’ordre sur le terrain, et l’utilisation de moyens d’intervention pour rétablir la confiance.
Le RPG est passé à côté de la démocratie
Une confiance relative, semble-t-il, alors que les forces de l’ordre sont accusées par l’opposition et certaines ONG d’usage excessif de la force contre les manifestants…
Tout à fait, c’est lamentable et regrettable. Tout le monde dénonce cette manière de se comporter. Le RPG est passé à côté de la démocratie. La solution, c’est que le peuple ne renouvelle pas le président sortant qui a trahi sa confiance.