La pandémie de coronavirus a confirmé – sinon révélé – les graves difficultés du continent à protéger ses populations du chômage et des maladies. Saura-t-il revoir ses structures économiques et améliorer ses systèmes de santé ?
Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur les mesures à prendre, en Afrique, pour mieux prévenir la pandémie ou atténuer ses effets. Aussi est-il temps de s’intéresser aux leçons à en tirer pour l’avenir, et ce dans les deux principaux domaines concernés par la crise : l’économie et la santé.
Commençons par l’économie. Pour se relever après la pandémie, certains préconisent l’annulation des dettes des pays africains, sous la forme d’un « plan Marshall », car les pays créanciers devraient faire preuve d’une solidarité internationale. D’autres plaident pour un moratoire ou un échelonnement du remboursement des dettes existantes et l’emprunt, par le biais de nouveaux crédits, pour, disent-ils, redynamiser les économies africaines à court terme.
Aucune de ces deux approches n’est dénuée de pertinence. Mais je pense que la plus fiable pour les pays du continent serait de travailler sur la structure de nos économies afin de réduire notre dépendance disproportionnée à l’égard de nos « partenaires ».
En effet, si les Américains ont pu injecter des milliards de dollars dans les économies des pays d’Europe de l’Ouest dans le cadre du plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale, c’est parce qu’ils avaient eux-mêmes été largement épargnés par les effets dévastateurs de la guerre. Or, aujourd’hui, la « guerre » que livre le Covid-19 n’a épargné aucun pays. Elle a d’ailleurs plus durement affecté nos créanciers, au moins de deux manières.
Sécurisation et mobilisation de ressources
D’une part, leurs industries sont à l’arrêt, et les travailleurs au chômage technique. Cela constitue un gros manque à gagner en matière de recettes fiscales et de redevances de compagnies industrielles, qui constituent pourtant l’épine dorsale de leurs économies.
D’autre part, ces créanciers sont appelés à mettre la main à la poche pour secourir ces mêmes industries afin de leur éviter la faillite, et ils doivent prendre en charge leurs citoyens au chômage pour leur assurer une vie digne. Cela représente des dépenses énormes. Et c’est à ces pays que l’on veut demander de l’aide ?
Rappelons, par ailleurs, que l’Institut de la finance internationale (IIF), qui regroupe les principaux créanciers privés à l’échelle mondiale (grandes banques commerciales et d’investissement, sociétés de courtage, compagnies d’assurances et fonds de pension), n’est pas favorable aux appels à la suspension du service de la dette des États les plus vulnérables lancés par le G20. Si ces appels devaient néanmoins prospérer, cette association – qui joue un rôle de syndicat des grands prêteurs privés – posera ses conditions et voudra y associer la Banque mondiale, le FMI et les clubs de Paris et de Londres.
C’est pourquoi je préconise les mesures suivantes, parmi tant d’autres, fondées essentiellement sur la sécurisation et la mobilisation de ressources internes :
- adopter des mesures de bonne gouvernance économique pour sécuriser les recettes en engageant une lutte impitoyable et sans démagogie contre la corruption ;
- assurer un usage rationnel des recettes pour éviter les dépenses inutiles, en donnant la priorité aux secteurs essentiels et à ceux qui jouent un rôle de catalyseurs ou qui sont structurants ;
- réduire le train de vie de nos gouvernements ;
- capitaliser les mesures exceptionnelles adoptées durant cette crise, comme le télétravail et les visioconférences, pour réformer nos administrations publiques en les informatisant et réduire les déplacements et les missions au strict minimum ;
- investir dans la production agricole locale des denrées alimentaires de base et dans les PME qui sont à même de générer de la richesse locale et de créer des milliers d’emplois pour nos populations ;
- rendre plus concrète et effective la coopération intra-africaine et Sud-Sud en matière de commerce et de production industrielle ;
- investir les nouveaux emprunts dans des secteurs productifs pouvant permettre de rembourser ces mêmes emprunts.
Structures sanitaires débordés
Poursuivons par le secteur de la santé, avec deux constats. Le premier est que la plupart des dirigeants et des dignitaires africains ne se soignent pas chez eux. Ils effectuent leurs contrôles médicaux ailleurs, généralement en Europe et en Amérique du Nord. Lorsqu’ils tombent malades, même chez eux, ils en sont souvent évacués.
Second constat, le coronavirus impose un confinement aux populations dans leur pays, d’abord, puis dans leur maison. Il fait déborder les structures sanitaires des États les plus avancés du monde. Il cloue au sol les flottes des compagnies aériennes les plus performantes et fait fermer les aéroports. Dans ces situations, les priorités – sinon les obligations – des autorités portent sur les soins donnés à leurs concitoyens ou aux personnes résidant sur leur sol au moment de l’apparition de l’épidémie.
Logiquement, on peut comprendre que, dans un tel contexte, aucun pays n’accepte de recevoir des étrangers en évacuation médicale, sauf cas exceptionnel. Vous tombez malade aujourd’hui chez vous, vous êtes obligé de faire avec les infrastructures disponibles. Voici une autre leçon magistrale que nous livre ce virus. Que faire donc de façon concrète ?
- Imaginons les fonds colossaux nécessaires pour la prise en charge à l’étranger des dignitaires de nos pays. Multiplions-les par le nombre d’évacuations de ce type. Ajoutons-y le tribut humain que paient nos pauvres populations (qui, elles, sont évacuées au village pour y mourir) à cause de l’absence d’infrastructures. Et faisons de la construction et de l’équipement ne serait-ce que d’un seul hôpital de référence une priorité des priorités.
- Investissons dans la recherche médicale et l’industrie pharmaceutique pour valoriser nos plantes médicinales et produire des médicaments, même génériques, et des consommables médicaux pour non seulement assurer une certaine autonomie mais aussi créer un secteur économique lucratif.
- Adoptons des programmes d’assurance-maladie universelle pour que soient pris en charge nos malades, quitte à prévoir différents niveaux de souscription à ces programmes en fonction du niveau de prise en charge des citoyens.
JA