Crise sanitaire et conséquences économiques, scrutins de mars et d’octobre, Constitution… Le président guinéen a donné à Jeune Afrique son opinion sur les sujets brûlants de l’actualité de son pays.
À moins de six mois d’une élection présidentielle à laquelle rares sont ceux qui doutent encore de sa candidature, Alpha Condé combat le coronavirus comme il avait combattu Ebola : heure par heure, le nez dans le guidon, jonglant entre appels incessants et messages répétés sur ses quatre ou cinq smartphones, jusqu’au cœur de la nuit.
Officiellement, ce président étonnamment alerte pour ses 82 ans ne fait que cela : gérer la crise sanitaire et économique dans un pays de 13 millions d’habitants brusquement stoppé en pleine phase de décollage par un virus importé. En réalité, cet ancien opposant couturé par tant de batailles a trop de politique dans le sang pour ne pas penser aussi, avec une même ardeur, aux échéances électorales à venir.
Voudrait-il s’en détacher que l’opposition guinéenne, vent debout contre son projet supposé de troisième mandat, ne lui en laisserait pas le loisir. Même si Alpha Condé a réussi à passer au forceps la première épreuve, le référendum du 22 mars instaurant une nouvelle Constitution, il est clair que ses adversaires regroupés au sein du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) n’entendent pas le voir se présenter en octobre. Il suffit pour s’en convaincre de lire ou d’écouter la surenchère sémantique du principal leader du FNDC, Cellou Dalein Diallo, dénonçant sur sa page Facebook « la main meurtrière » du chef de l’État, dont seul le départ permettra selon lui de « mettre un terme au carnage » (sic).
Surenchère verbale certes. Mais quand on sait qu’en Guinée toute manifestation est synonyme de violences, trop souvent de morts, et qu’aucunes prémices d’apaisement ne sont en vue tant les protagonistes semblent irréconciliables, les mois à venir risquent d’être tendus. Dans cet entretien recueilli par visioconférence, Alpha Condé se veut à la fois serein et combatif. Nul doute qu’il aura besoin de cette bipolarité pour mener ce qui pourrait être sa dernière bataille.
Jeune Afrique : La Guinée a dû faire face, entre 2013 et 2015, à l’épidémie d’Ebola, qui a fait plus de 2 000 victimes. Cette expérience vous sert-elle pour combattre la pandémie du coronavirus ?
Alpha Condé : C’est évident. D’abord parce qu’Ebola nous a obligés à multiplier par deux les fonds consacrés au secteur de la santé. Aujourd’hui, toutes les sous-préfectures disposent d’un centre de soins amélioré. Ensuite parce qu’au contact de cette maladie nos médecins ont acquis de précieuses compétences qui ont fait d’eux des spécialistes dont le savoir-faire est désormais requis ailleurs, notamment en RDC. Et les Guinéens en général l’ont aussi compris : depuis Ebola, ils savent que se désinfecter les mains est un geste capital, nul besoin de le leur répéter.
Cette expérience nous a appris à réagir vite. Dès l’apparition des premiers cas de coronavirus importés de Belgique puis de France, l’état d’urgence sanitaire, un couvre-feu nocturne et toute une série de mesures de prévention ont été décrétés. Si le nombre de cas dépistés est élevé en Guinée, c’est parce que nous multiplions les tests à l’échelon communautaire, famille par famille.
JA