Guéckédou, Guinée. Février 2017. Un vieil homme se penche avec tristesse sur une tombe qu’il nettoie des feuilles sèches et de la poussière que le vent y a déposée depuis une semaine. Comme un rituel personnel, depuis plus d’un an, ce septuagénaire revient régulièrement dans ce cimetière pour honorer la mémoire de sa petite fille, morte dans des conditions qu’il n’oubliera jamais. Il est encore là ce jour avec sa fille Rosalie pour commémorer ce douloureux anniversaire.
«Je suis Rosalie Bongono, la mère de KoumbaTonguino, la fillette de six ans que j’ai perdue, il y a un an. » Silence. Elle essuie une chaude larme et poursuit : « C’était après son excision. » Celle qui parle a vécu avec révolte ce drame familial qu’elle raconte avec émotion et une profonde douleur. C’était à Mongo dans la commune rurale de Témessadou, un petit village de la préfecture de Guéckédou. La mort tragique de la fillette est survenue en décembre 2015, dès après les grandes moissons de riz, quand une matriarche respectée a voulu la voir figurer parmi les filles du village à exciser cette année-là.
Malgré les arguments des parents de la fillette, évoquant tantôt le manque de moyens pour faire face aux charges liées à la cérémonie, tantôt le manque de temps. Malgré ce refus à peine voilé, la ‘’vieille’’ et ses congénères décident d’assumer toutes les dépenses de ce qu’elles appellent une ‘’coutume ancestrale’’. Selon elles, explique Rosalie, la ‘’purification’’ de leur petite fille, une question d’honneur et de respect de la famille!
KoumbaTonguino sera ainsi furtivement conduite par ‘’la vieille’’ et ses amies au camp d’excision, où elle rejoindra dix autres fillettes pour subir la terrible épreuve. Le jour suivant, le père et la mère sont informés que « la petite ne se porte pas bien. » Rosalie raconte: « Mon mari et moi avions décidé de nous rendre au village pour avoir des nouvelles de notre fille. Arrivés sur les lieux, nous avons vu que notre Koumba saignait encore et avait beaucoup de fièvre. Nous étions vraiment inquiets et en colère contre ‘’la vieille’’ et l’exciseuse». Toutes les femmes présentes au camp ont fait croire aux parents qu’un mauvais sort qui avait été jeté sur leur fille par les sorciers du village, mais que tout cela allait s’arranger grâce aux ancêtres.
Cependant, au deuxième jour de l’excision, la situation de Koumba ne faisait qu’empirer. Ses parents, en permanence à son chevet, vont tout essayer pour la sauver. En vain. Le troisième jour, vidée de son sang, à bout de force, KoumbaTonguino rendit l’âme.
A l’annonce de la nouvelle, Rosalie s’effondre et perd connaissance. Clameur générale. Tout le monde panique autour. A l’issue d’interminables palabres entre la famille, les sages et les autorités, le corps sans vie de la fille est remis à ses parents pour être inhumé dans le village de son père en quasi.
Secrètement alerté, le comité villageois de protection de l’enfant, se saisit de l’affaire et a aussitôt remonté les informations au niveau du comité préfectoral de protection de l’enfant de Témessadou. C’est alors que l’OPROGEM (Office de promotion du genre et mœurs) a été mise au courant et que l’exciseuse a été arrêtée et mise à la disposition de la justice. Les membres de cette organisation se sont spécialisés de plusieurs années, dans la protection des enfants victimes de maltraitance, de mutilations génitales et surtout dans la recherche des présumés auteurs de toutes sortes d’abus, de crimes et diverses violations des droits de l’enfant, pour les mettre à la disposition de la justice.
Au niveau des communautés, les Comités locaux pour l’enfance et la famille (CLEF) et les Conseils villageois de protection de l’enfant (CVPE) jouent un rôle essentiel dans la surveillance, la sensibilisation et la remontée des informations relatives aux situations de violations des droits des enfants. Grâce aux activités de l’AFAF (Association des femmes pour l’avenir des femmes) qui a renforcé leurs capacités, ils continuent de jouer véritablement leur rôle de veille et de lanceur d’alertes, indispensable à la sauvegarde des acquis sociaux.
La Guinée travaille avec l’appui de l’UNICEF et d’autres organisations humanitaires à la réduction du taux de prévalence de mutilations génitales féminines qui est de 97% pour la tranche de 15 à 49 ans, comme le relève l’EDS (Enquête Démo-Sanitaire, 2012).
Le cas de KoumbaTonguino illustre malheureusement la situation de nombreuses fillettes et femmes mutilées qui finissent par rejoindre les statistiques de mortalités évitables. Celles qui s’en sortent restent traumatisées à vie, avec de terribles conséquences sur leur santé et leur épanouissement.